Absentéisme

L’Etat de Genève revisite sa gestion des absences

Chaque absence est désormais analysée dans un écosystème qui comprend la prestation, le poste de travail et la personne. Cette nouvelle approche déculpabilise l’individu, maintient la qualité de la prestation au centre et ouvre sur le collectif. Explications.

L’Etat de Genève lutte depuis longtemps contre un absentéisme moyen plutôt élevé. En 2015, ce taux pointait à 4,8%, avec des pics allant de 7,5 à 8,6% dans certains services. Ce qui représentait un total de 250 000 jours d’absence, soit un coût direct d’environ 78 millions de francs. Si les absences de courtes durées sont un phénomène relativement courant (les experts estiment qu’un taux d’absentéisme de 2 % repré­sente un seuil incompressible), c’est surtout les absences de longue durée qui causent des dom­mages. Elles sont souvent le signe de conflits de travail lourds avec des conséquences graves sur la santé des collaborateurs. Ces absences de longue durée font aussi gonfler les taux moyens d’absentéisme. L’Office du personnel de l’Etat a donc décidé d’élaborer une nouvelle manière d’appréhender l’absentéisme. Mise à l’épreuve lors d’une phase pilote dans deux départements dès l’été 2014, elle est progressivement appli­quée au reste de l’administration suite à une va­lidation du Conseil d’Etat en avril 2016. Cette nouvelle approche est révo­lutionnaire dans le sens qu’elle replace le collaborateur absent dans un écosystème, avec trois piliers: la prestation à fournir au citoyen genevois, le poste de travail et le collaborateur.

Questionner le travail
«Le Conseil d’Etat a validé certaines mesures pour réduire l’absentéisme, lesquelles soulignent le lien entre l’absence du collaborateur et sa situation au poste de travail», raconte Alain Haas, collaborateur à la Direction du développement RH à l’Etat de Genève. «Ce lien entre l’absence et la situa­tion permet de comprendre les causes qui empêchent un collaborateur de fournir une prestation. Aujourd’hui, l’analyse n’est plus uniquement centrée sur l’individu, elle s’étend à la place de travail, au sens large. Cette nouvelle manière d’aborder l’absence nous permet donc de réagir rapide­ ment afin de maintenir les prestations, mais aussi de questionner l’organisation du travail et le collectif autour de l’individu.» Exit donc l’approche traditionnelle et très psychologisante qui se focalisait sur l’individu. En in­troduisant un pôle «poste de travail» dans l’analyse des causes de l’absence, plusieurs autres facteurs sont désormais pris en compte. Du côté de l’indi­vidu, le manager évaluera par exemple la reconnaissance au travail; l’au­tonomie et le degré de participation; l’équilibre de vie; la charge de travail et le respect. Mais le poste de travail sera aussi remis en question, en met­tant sur la table la clarté de la vision et de la mission; les objectifs fixés; l’organisation du service ou les questions d’ergonomie.

Responsabilisation
Fabienne Bonjour, qui dirige la Direction du développement RH, ajoute que «c’est aussi une manière de responsabiliser le collaborateur. En incluant la prestation dans notre grille de lecture, nous gardons en vue l’objectif final de notre organisation, qui est de fournir des prestations de qualité à nos ci­toyens. Avec cette nouvelle approche de l’absentéisme, nous nous sommes rendus compte que la discussion devenait beaucoup plus constructive. Car au final, chaque collaborateur est amené à trouver lui­-même un équilibre entre les ressources à disposition et la prestation à fournir.»
L’autre avantage de ce modèle est de maintenir le lien avec le collaborateur, surtout pendant des absences de longue durée. «Par le passé, une absence de longue durée était réorientée vers l’unité de santé au travail. Depuis l’été dernier, c’est au supérieur direct de la personne absente de maintenir le contact. Nous souhaitons ainsi comprendre s’il y a un lien entre l’absence et l’organisation ou le poste de travail», explique Fabienne Bonjour. «C’est aussi une manière de montrer au collaborateur absent qu’on s’occupe de lui et de son travail.»

Cellule de retour au travail
A noter enfin la création d’une «Cellule de retour au travail», qui vient compléter plusieurs unités déjà existantes (Commission de Santé et Sécurité; Service de Santé; Service de formation; Groupe de confiance et le Conseil et expertise en Lien au travail). Cette cellule «offre une expertise dans le domaine de la re-mobilisation et de la transition professionnelle tant en termes d’outils que de pratiques». Elle «accompagne (aussi) la mobilité induite par des raisons de santé». L’idée de cette cellule est aussi d’apporter un éclairage en termes d’organisation du travail afin d’éviter qu’une absence de longue durée soit aiguillée automatiquement au Service de santé.

Quel est le changement le plus important que vous avez constaté?

Fabienne Bonjour: Nous avons changé notre regard. Nous ne sommes plus fixés sur la personne qui dysfonctionne, mais sur l’écosystème qui l’entoure. Ce regard-là amène des pratiques différentes pour tout le monde. Nous agissons plus tôt, plus globalement et davantage sur les causes réelles du dysfonctionnement.

Alain Haas: Cette nouvelle approche apporte plus d’humanité. Nous sommes beaucoup plus dans le respect de l’être humain, de sa manière de procéder pour produire une prestation. Sous l’ancien système, nous pouvions être dans du «DPC»: diviser, presser et contrôler. Avec la vision des «3P» (prestation, poste de travail et personne) nous disposons désormais d’une vision d’ensemble de toutes les interactions que vit un collaborateur: son travail, son poste, ses compétences. Si vous oubliez un des trois P, vous êtes dans le déséquilibre et vous allez créer des mécanismes de résistance.

Des entretiens structurés pour identifier les facteurs du déséquilibre

Selon la nouvelle approche, «en tout temps mais au plus tard à la 6ème absence sur 12 mois coulissants ou à 45 jours d’absence consécutifs, les RH doivent procéder à l’analyse de l’absence». La personne est donc convoquée pour deux à trois entretiens avec son supérieur direct et un manager RH (en cas de conflit, les différentes parties sont convoquées séparément).

Alain Haas, collaborateur à la Direction du développement RH à l’Etat de Genève détaille: «Le premier entretien doit permettre au collaborateur de raconter son histoire. Aucune décision n’est prise à ce moment. Après un mot d’introduction, nous lui demandons de raconter ce qu’il vit sur sa place de travail. Nous l’écoutons jusqu’au bout, sans l’interrompre et sans jugement. Nous utilisons ensuite notre modèle des «3P» (voir le graphique ci-dessus) et lui proposons de placer sur le tableau à l’aide de Post-it’s les mots clés de son histoire. Cela va lui permettre de prendre du recul. Nous l’invitons ensuite à hiérarchiser les points qui lui paraissent les plus importants pour aller vers une issue. C’est très important de ne pas entrer dans une argumentation juridique et d’accepter la subjectivité de son vécu professionnel. Plus on intervient tôt, plus la solution se dessinera rapidement. Et cette expérience va ensuite aider le collectif à requestionner ses pratiques si besoin.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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