Droit du travail

L'incapacité de travail limitée au poste ou le certificat médical à géométrie variable

Un arrêt fédéral de 2024 a mis en lumière le fait qu’un certificat médical qui établissait une incapacité de travailler liée au poste actuel du collaborateur prétendument malade risquait de se retourner contre ce dernier parce qu’il perdrait sa protection contre les congés. Mais comment les tribunaux sont-ils parvenus à ce raisonnement? On analysera ci-dessous l’arrêt 1C_595/2023 du 26 mars 2024.

1. La protection contre les congés en droit privé: règles générales

En matière de contrat de travail, vu la disparité des positions, le législateur a imaginé un système de protection qui s’imposerait à l’employeur pour éviter le licenciement du collaborateur malade ou accidenté. Selon l’art. 336c al. 1 lit b CO applicable aux relations de travail de droit privé, un travailleur en arrêt maladie ou accident ne peut être renvoyé pendant 30 jours dans sa première année d’activité, 90 jours de deuxième à la cinquième et même 180 jours dès la sixième année. Le congé donné pendant cette période est nul si le collaborateur se prévaut d’un certificat médical attestant du fait qu’il ne peut se présenter à son poste; si l’employeur licencie un collaborateur qui présente ensuite une incapacité de travail, le délai est suspendu pour le temps de cet empêchement.

2. La cause de l’empêchement de travailler

La ratio legis de la nullité du congé ou de la suspension du délai de congé est simple: le travailleur doit pouvoir retrouver du travail, donc être apte à se faire embaucher à la fin du délai de protection. Or, s’il présente une incapacité pendant la durée de son préavis, il ne pourra pas être réembauché aisément. C’est la raison pour laquelle il convient de se pencher sur l’empêchement allégué. S’il trouve sa source hors du contrat de travail, la jurisprudence de 2024 n’est d’aucune application, mais le cas est bien différent si l’incapacité est en lien direct avec ce qui s’est passé au travail. Dans cette situation en effet, c’est en quelque sorte le travail qui rend malade; plus exactement le poste occupé par le collaborateur serait responsable de son état de santé et la fin des relations contractuelles apparaît donc opportune.

3. L’examen du cas d’espèce

Dans l’arrêt susmentionné, un collaborateur de l’armée avait été informé par son supérieur de l’intention de résilier les rapports de travail selon la procédure ordinaire; dès le lendemain, il était au bénéfice d’un certificat médical attestant de son incapacité de travailler à 100%. Le collaborateur se prévaut devant les instances fédérales (TFA et TF) du long délai de protection de l’art. 31a al. 1 de l’ordonnance sur le personnel de la Confédération (OPers), qui ne permet de résilier les rapports de travail, après le temps d’essai, qu’ultérieurement à l’écoulement de deux ans d’incapacité de travail due à un accident ou une maladie. L’employeur a considéré qu’il pouvait se séparer du collaborateur malgré le certificat médical sur la base de rapports médicaux relevant des troubles déclenchés par des situations problématiques sur le lieu de travail et un risque élevé de rechute dépressive en cas de retour. Or, le collaborateur n’a pas été en mesure d’établir du mobbing à son encontre, quand bien même des divergences de vues avaient été rapportées, dans une situation où le recourant avait été rappelé au respect de son devoir de diligence et fidélité. L’incapacité de travail était donc bien liée au poste.

4. L’appréciation

La fin des rapports de service après 15 mois d’incapacité d’une personne qui a fait peu de cas de ses propres obligations n’est pas choquante. Il faut garder à l’esprit l’étendue considérablement différente des délais de protection entre le droit privé et la loi sur le personnel de la Confédération, qui peut expliquer en partie la solution de l’arrêt. Cela étant, le TF comme le TAF avant lui ont bien examiné si le recourant avait été victime de harcèlement psychologique, et il faut conclure des considérants qu’une réponse positive aurait modifié la solution.

5. Des risques de dérive?

D’aucuns ont pu, un peu rapidement peut-être, considérer que si l’atteinte à la santé est limitée à la place de travail – et elle l’est forcément en cas d’affection psychique en rapport avec la place de travail – cette atteinte est a priori insignifiante, car elle n’empêche pas le travailleur de rechercher un nouvel emploi. C’est oublier qu’il faut toujours une appréciation médicale du médecin conseil de l’employeur ou de son assureur pour établir médicalement l’origine des tracas du collaborateur. Certains ont également craint que l’employeur puisse licencier ses collaborateurs sans risquer un certificat médical qui prolongerait les rapports de travail; or, l’analyse de l’arrêt du 26 mars nous montre que le mobbing doit être écarté pour que l’employeur puisse faire fi du certificat médical. Dans toutes les hypothèses, l’affaire sera probablement portée devant les tribunaux et coûtera temps et argent à l’entreprise, qui ne devrait logiquement pas prendre de tels risques si son comportement a été tout à fait correct.

6. Recommandations et conclusion

Lorsqu’un licenciement est prononcé sans être accompagné d’une convention sur les effets et les modalités de celui-ci, il est très fréquent qu’un certificat médical soit produit, dont l’énoncé peut amener à douter de la véracité de l’incapacité de travail. L’employeur est en droit de faire vérifier, à ses propres frais, l’existence et le degré de l’empêchement de travailler, mais s’il entend contester le certificat, c'est sur lui que pèsera la charge de la preuve, le certificat médical établi en Suisse jouissant d’une certaine présomption de vérité. L’employeur qui n’aura pas donné suite à une demande de protection fondée de son collaborateur pourrait se voir imputer une responsabilité dans la non prise en charge de son travailleur psychiquement mal en point et, partant être privé du bénéfice de l’incapacité liée au poste. Inversement, s’il a pris la peine de traiter les problèmes interpersonnels de ses employés, la jurisprudence de 2024 vient à son secours.


Une pratique pas si révolutionnaire mais plus claire

L’arrêt examiné ci-contre n’est pas aussi révolutionnaire qu’il le paraît. Il n’est réellement nouveau que s’agissant des incapacités d’ordre psychique de reprendre sa place de travail et, dans tous les cas, les principes qui le sous- tendent étaient déjà bien ancrés dans les jurisprudences de certains cantons alémaniques. Dans le domaine somatique, la problématique est connue de longue date, notamment dans les secteurs du nettoyage, de la coiffure et de l’hôtellerie.

Dans ces domaines, il est arrivé souvent qu’un collaborateur développe une allergie à l’un ou plusieurs des produits utilisés sans qu’il soit possible de trouver un article de substitution. Ces cas constituent également une incapacité de travail vis-à-vis d’un employeur déterminé, voire d’une branche particulière. Dans ces circonstances, les assurances perte de gains se montraient toutefois plus compréhensives et octroyaient un délai de 2 à 4 mois à la personne visée pour changer d’activité, tout en restant au bénéfice des indemnités journalières.

La situation était ainsi claire pour les deux parties au contrat, en raison probablement du caractère inéluctable du changement d’emploi. Lorsque l’incapacité est liée à un facteur psychologique, il n’est pas certain que ce soit à l’employeur de supporter le salaire du délai de congé, même si le système de l’art. 324a CO paraît l’y assujettir. Une convention tripartite avec l’assureur, l’employeur et le collaborateur constitue la piste à privilégier.

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Christine Sattiva est avocate au cabinet Sattiva – Gétaz Kunz à Cully. Elle est spécialiste FSA en droit du travail, vice-présidente du tribunal des prud’hommes de l’administration cantonale, chargée de cours à l’UNIL. Lien: avocates-lavaux.ch

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