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Management de transition, une réponse à la permacrise

Turbulences économiques, pénuries de talents, transformation numérique: le management de transition s'impose peu à peu en Suisse comme un levier stratégique.

Selon une récente étude menée par le cabinet Robert Walters, près de 66% des organisations européennes envisagent de faire appel à un manager de transition cette année. «Dans un environnement économique incertain, la demande pour ce type de solution augmente, explique José Bokhorst, directrice chez Robert Walters pour le Benelux, la France, l’Allemagne et la Suisse. Ils peuvent intervenir rapidement avec l’expertise adéquate, ce qui permet aux organisations d’adapter ou d’accélérer leur stratégie sans compromettre la qualité ou les résultats.» 

La volonté de recourir à des managers de transition est un peu moins marquée sous nos latitudes, selon la même étude: 50% des entreprises suisses interrogées prévoient un tel engagement en 2025. Il faut dire que la Suisse a longtemps regardé cette pratique de loin. «Le management de transition est né dans les années 1970 aux Pays-Bas, puis s’est développé au Royaume-Uni dans les années 1980, avant d’essaimer à partir des années 1990 en France, en Allemagne ou en Italie, et beaucoup moins en Suisse, rappelle Olivier Taburet, directeur de NIMSuisse, un cabinet spécialisé dans le management de transition basé à Genève. 

Pourquoi ce retard? Une économie solide, une flexibilité du travail bien réelle, et une méconnaissance du modèle, estime l’expert, qui a lui-même exercé pendant six ans comme manager de transition en direction financière avant de fonder Procadres International Suisse en 2014. «Mais cela change. Le paradigme de stabilité a volé en éclats: crise sanitaire, tensions géopolitiques, incertitudes économiques... La fameuse «permacrise». Aujourd’hui, même la Confédération évoque la nécessité de renforcer les solutions agiles dans la gestion des ressources humaines.» 

La dynamique relatée par l’étude Robert Walters s’observe aussi ici, remarque Frédérique Bleyzac, associée Suisse romande chez NIMSuisse. «L’incertitude globale pousse les entreprises à développer une boîte à outils stratégique, et le management de transition en fait désormais partie.» 

Missions clés pour moments critiques 

Le recours à un manager de transition s’avère particulièrement pertinent dans trois types de situations: les transformations stratégiques, la gestion de crise et le management relais. «Les projets de transformation – tels que l’internationalisation, la numérisation ou la croissance externe – s’inscrivent dans la durée et nécessitent un accompagnement soutenu, souvent sur une période de 10 à 18 mois», précise Olivier Taburet. 

En situation de crise, l’intervention rapide d’un profil expérimenté peut s’avérer cruciale, notamment lors de restructurations industrielles, de difficultés de trésorerie ou de retards critiques sur des projets ERP. «Enfin, dans les cas de management relais, le manager de transition assure la continuité en attendant le recrutement d’un titulaire, une solution appréciée lorsque les processus de sélection s’annoncent longs ou incertains. Nous observons par ailleurs une hausse des missions liées à des projets transverses complexes, où les ressources internes ne suffisent plus.» 

Le management de transition intervient souvent après la phase de conseil. «Là où un cabinet de consulting fait une recommandation stratégique, nous déployons un professionnel expérimenté pour mettre en œuvre la transformation, souligne Frédérique Bleyzac. Exemple avec une PME technologique qui souhaite s’implanter en Asie: après l’étude de marché, il faut une personne capable de créer une filiale, puis de la gérer sur place. C’est là que nous intervenons, avec des profils dotés de double culture et de nombreuses années d’expérience terrain. Près de 90% de nos missions incluent par ailleurs du management d’équipe. Cela suppose beaucoup de soft skills: compétences analytiques, capacité à s’intégrer vite, posture humble, écoute. Le manager de transition est un faiseur, pas un théoricien.» 

Un levier RH face aux tensions du marché 

L’interim management constitue une réponse agile à plusieurs défis RH actuels, poursuit l’experte. «D’une part, c’est un moyen de valoriser la séniorité.» De fait, l’employabilité des seniors est également l’un des quatre champs d’action d’un plan lancé par la Confédération en matière de personnel qualifié. «Cette initiative doit s’accompagner de leviers réels d’employabilité, le management de transition en est un. Il donne également l’occasion à des managers expérimentés de transmettre, sur une mission limitée, leur savoir à une nouvelle génération. D’autre part, le fait de pouvoir tester un manager sur une mission longue avant d’envisager un recrutement, ce qui est moins risqué pour l’entreprise, est une autre option intéressante.» 

«Des secteurs comme la santé vont connaître une montée en puissance de la demande pour l’interim management, conclut Olivier Taburet. Le vieillissement de la population et la croissance démographique créent une pression énorme sur les infrastructures. Le secteur public devra aussi trouver des relais de compétence temporaires, faute de profils disponibles.» 


Un métier qui ne s’improvise pas 

S’illustrer comme manager de transition exige un profil bien spécifique. «Il faut pouvoir être opérationnel immédiatement, s’adapter rapidement et prendre des décisions dès les premiers jours de la mission, explique Olivier Taburet, directeur de NIMSuisse, un cabinet spécialisé dans le management de transition. Ce n’est pas une posture d’expert qui observe, c’est celle d’un pilote qui agit.» 

Deux types de parcours se distinguent. D’un côté, les «purs» managers de transition, souvent établis à leur compte, qui ont choisi ce modèle comme une carrière à part entière. De l’autre, des professionnels plus jeunes, parfois entre deux postes, qui testent ce format dans une logique d’exploration ou de pré-recrutement. «Mais dans tous les cas, il ne s’agit pas d’une simple parenthèse professionnelle. Ce rôle requiert non seulement des compétences techniques solides, mais aussi des qualités humaines: leadership, sens de la communication, humilité et capacité à embarquer les équipes. C’est un état d’esprit plus qu’un statut. On estime que seuls 10% des cadres ont réellement le profil pour exercer ce métier.» En Suisse, aucune formation dédiée n’existe à ce jour, mais les besoins croissants pourraient changer la donne. 

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Erik Freudenreich est le rédacteur responsable de la version française du site HR Today.

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