Le futur du travail

Quatre conséquences RH de la mutation du travail

Un récent rapport de la banque mondiale* éclaire les changements qui vont impacter le travail de demain. La sociologue française Sandra Enlart, spécialiste des ressources humaines, propose ici son regard critique sur ces évolutions. Analyse.

En 2019, le nombre de robots sur la place de travail augmentera de 1,4 million d’unités. En tout, l’être humain devra donc collaborer avec 2,6 millions de robots cette année. C’est ce que nous apprend notamment un rapport de la banque mondiale publié en octobre 2018*. L’impact des nouvelles technologies est sans doute la conséquence majeure de la quatrième révolution industrielle. Nous vous présentons ici trois autres enjeux de cette transformation du travail. La sociologue française Sandra Enlart, qui a dirigé par le passé le réseau Entreprise & Personnel, partage aussi son regard critique sur ces mutations.

1. Collaboration humain/robot

Comme indiqué plus haut, les robots et les outils informatiques envahissent les espaces de travail. Les pays les plus touchés par cette robotisation sont l’Allemagne, la République de Corée et Singapour. Ces technologies modifient les processus de production et déstructurent l’organisation traditionnelle du travail. «De nombreux emplois actuels, et beaucoup plus dans un proche avenir, exigeront des compétences spécifiques qui combinent le savoir-faire technologique, la résolution de problèmes et l’esprit critique, mais aussi des aptitudes générales comme la persévérance, la collaboration et l’empathie», écrivent les auteurs du rapport. Voir aussi le graphique 1 ci-contre.

Le regard de l’experte

Sandra Enlart: «La technologie est un changement majeur et violent. Les entreprises y sont d’ailleurs assez mal préparées. Il y a eu des rapports sans fin sur les impacts de la technologie sur l’emploi. Plutôt qu’une disparition, je constate une transformation de certains métiers.

Cela pose des enjeux d’adaptation énormes. Comment préparer les collaborateurs à travailler avec l’IA, le big data et les machines/robots? Le discours dominant propose de former tout le monde aux soft skills, comme si c’était la panacée. «Apprenons aux gens à s’adapter et tout ira bien!» Ce discours n’est pas entièrement faux mais j’ajouterais deux remarques:

  1. La première est idéologique. C’est une vision très libérale du marché du travail. Dire que c’est au travailleur de prendre en charge à lui tout seul ce changement ne suffit pas. D’ailleurs, qu’est-ce qu’on met concrètement derrière le mot soft skills? J’estime que le travail doit aussi être repensé, qu’il faille aussi adapter l’activité.
  2. Ma deuxième remarque concerne les compétences techniques. Je mène plusieurs recherches sur le sujet et le constat est clair: ces compétences ne vont pas disparaître malgré ce qu’annoncent certains observateurs. Un socle de connaissances techniques demeurera toujours. Certes, elles évoluent, mais il faudra les connaître.»

2. Gig economy

Cet anglicisme entre progressivement dans le jargon des RH. Il désigne cette économie du mandat, des travailleurs indépendants qui passent d’une mission à une autre au gré des demandes. En clair, le noyau dur des salariés fixes diminue et on voit apparaître autour de l’organisation un essaim d’indépendants. Selon le rapport: «L’époque où on faisait carrière dans un emploi ou une entreprise pendant des décennies est quasiment révolue. Dans la gig economy, les travailleurs auront probablement de nombreux petits boulots au fil de leur carrière, ce qui signifie qu’ils devront apprendre toute leur vie durant.»

Le regard de l’experte

Sandra Enlart: «C’est indéniable, nous assistons à l’émergence de plusieurs nouvelles formes contractuelles. Cela dit, tout le monde ne sera pas free-lancer à l’avenir. Il y a une évolution de la relation au travail. L’attachement à l’entreprise et la manière de se projeter dans un avenir professionnel sont en train d’évoluer.

Mais l’impact de ces nouvelles formes d’emploi ne sera pas le même selon votre niveau de formation. Pour un profil bien qualifié, cette relation à l’emploi lui permettra d’avoir un meilleur équilibre de vie, de travailler à temps partiel, de participer à des projets et des missions différentes, avec plus d’autonomie et une meilleure qualité de vie.

A l’inverse, pour un individu peu qualifié, ces nouvelles formes d’emploi sont parfois synonymes de précarité, de bullshit jobs ou de chômage. Je réfute également la lecture générationnelle un peu simpliste. La génération Y a des attentes contradictoires. En France par exemple, nous n’avons jamais eu autant de jeunes qui postulent pour des postes dans la fonction publique. C’est dire que la sécurité de l’emploi est encore un enjeu important pour certains jeunes peu qualifiés.»

3. Protection sociale

La mutation de l’emploi implique de revoir les systèmes de protection sociale. Les syndicats se battent depuis longtemps contre la précarisation de certains métiers qui subissent de plein fouet cette révolution industrielle. Le bras de fer qui oppose les chauffeurs de taxis au géant Uber symbolise cet enjeu. «S’adapter à la transformation de la nature du travail exige également de repenser le contrat social. Nous avons besoin de trouver de nouveaux moyens d’investir dans la population et de la protéger, quelle que soit sa situation au regard de l’emploi. Pourtant, quatre personnes sur cinq dans les pays en développement n’ont jamais su ce que signifie jouir d’une protection sociale», mettent en garde les auteurs du rapport.

Le regard de l’experte

Sandra Enlart: «Cela semble évident. Si les formes de relations à l’emploi changent, l’assurance devra changer aussi. Le modèle dépendra de plusieurs facteurs, ce sera aussi un choix politique selon les pays.

En France, le gouvernement actuel a commencé par réformer le droit du travail. Par contre, le volet protecteur a été uniquement considéré par la dimension formation. Les violences que nous avons connues ces derniers mois en France s’expliquent aussi par cette absence de protection sociale. Nous avons modifié leur relation à l’emploi sans adapter la protection.»

4. Travail informel

L’économie informelle désigne l’ensemble des activités productrices de biens et services qui échappent au regard ou à la régulation de l’État (selon Wikipedia). La numérisation de notre économie brouille la frontière entre secteurs formels et informels. Cette tendance concerne surtout les économies des pays émergents où dans certaines régions, c’est jusqu’à 90% de l’économie qui est informelle. En Europe, ce travail informel désigne aussi les échanges de bonnes pratiques et le partage d’expériences. Ces nouvelles formes de travail augmentent et posent des défis importants aux entreprises et aux gouvernements.

Le regard de l’experte

Sandra Enlart:«Le travail informel est rendu possible grâce aux plateformes internet. Les individus peuvent désormais participer à des communautés d’experts, où l’on se rend des services et des coups de main, de manière non explicite. C’est une sorte de troc des temps modernes. Ce mode opératoire est très formateur et c’est une tendance typique des réseaux sociaux. Il est le signe d’une vraie porosité entre la vie personnelle et professionnelle. Tout se mélange. Et c’est très souvent du gagnant-gagnant. Les entreprises y gagnent, car le phénomène accélère l’apprentissage de chacun.»

Congrès sur le futur du travail

La Société Suisse de Sociologie et l’Institut de Sociologie de l’Université de Neuchâtel organisent un Congrès sur le futur du travail à Neuchâtel du 10 au 12 septembre 2019.

«Le travail est au cœur de nos expériences collectives et de nos vies individuelles. Mais le monde du travail est en pleine transformation. La technologie, la mondialisation et de nouvelles pratiques managériales redéfinissent les temps, les lieux et les pratiques du travail. Ces changements, qui déterminent en outre qui a accès au travail et qui peut s’en passer, ont des répercussions importantes sur toutes les sphères de la vie sociale et politique», écrivent les organisateurs.

Informations pratiques

Titre: Le Futur du Travail
Lieu: Université de Neuchâtel
Dates: du 10 au 12 septembre 2019
Site Web: http://www.unine.ch/socio/sociocongress2019
Keynotes:
Prof. Dominique Méda, Université Paris Dauphine
Prof. Dr Heike Solga, WZB Berlin Social Science Center
Prof. Manuel Castels, University of Southern California Los Angeles (tbc)
Les inscriptions se font en ligne sur le site du congrès. Elles ouvrent le 15 février. Tarifs pour participants qui ne sont ni étudiants, ni membres de la Société Suisse de Sociologie:
160 CHF du 15 février au 15 juin.
190 CHF du 16 juin au 31 août.
210 CHF les 10 et 11 septembre (à payer sur place).

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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