Dossier

Quel profil pour un poste à l’expatriation?

Votre organisation doit recruter un directeur d’affaires internationales pour un  poste en Chine. Comment définir le profil et réussir le recrutement. Etude de cas.

Vous êtes un directeur dans une multinationale de 10 000 personnes, avec 15 bureaux sur différents continents. Votre compagnie a pris la décision stratégique de commercialiser des montres à Shanghai en Chine. Vous êtes le directeur responsable de la Chine au siège à Genève.

Vous aviez tout d’abord engagé à ce poste un Chinois de Pékin. L’idée s’est révélée catastrophique. De nombreux malentendus existaient entre vous. De plus, ce directeur local ne comprenait pas l’esprit de votre marque. Par exemple, au lieu de choisir un circuit de distribution haut de gamme,  il a utilisé les réseaux familiaux de distribution de montres à bas prix. Pour couronner le tout, il a quitté l’entreprise pour aller à la concurrence, en emmenant avec lui trois collaborateurs.

Par conséquent, en tant que responsable de l’Asie, vous devez absolument sélectionner un expatrié qui connaisse bien la marque avant que d’autres employés soient engagés par la concurrence. Après ces déboires, vous vous sentez un peu inquiet et vous souhaitez rétablir votre crédibilité. Le directeur général vous a soumis les dossiers de deux directeurs à fort potentiel et il vous incombe d’opérer un choix rapidement.

Peter Zurcher*

De parents suisses, il a été élevé à Zurich. Il est marié avec une Chinoise originaire de Beijing qui a fait ses études à EPFL. Il a occupé deux postes importants à l’étranger: quatre ans à Londres où il a été responsable de la marque pour toute l’Europe et deux ans en Amérique latine. Peter est un expert reconnu tant au sein de l’organisation qu’à l’extérieur.

Il a travaillé au siège depuis 7 ans comme responsable de la marque et lorsque vous avez évoqué un poste à Shanghai, il était enthousiaste et prêt à tenter une autre expérience internationale. Il sait que cela lui permettra d’acquérir une expérience plus large et plus complète afin de se préparer pour un poste de haut niveau.

Peter/Forces

  • Excellente expertise de la marque.
  • Longue expérience au sein de la compagnie
  • A passé suffisamment de temps dans son poste pour comprendre les conséquences de ses décisions.
  • Bon réseau local au siège.
  • Envisage son avenir au sein de la compagnie sur le long terme.
  • Entretient un réseau d’amitiés et d’échanges professionnels de très longue date au niveau local surtout.  
  • Habitué aux compromis politiques pour faire avancer les projets.
  • A l’aise dans une organisation fortement hiérarchique.
  • Excelle à rendre la compagnie plus efficace et consolide les succès.

Peter/Faiblesses

  • N’est pas très à l’aise  dans le démarrage d’un nouveau projet. Sa force réside dans la consolidation du succès.  
  • Apprécie d’être au siège où les décisions sont prises en concertation avec d’autres.
  • Comme il a une seule référence culturelle, il a tendance à projeter sa façon de voir sur les autres et est moins à même de maximiser les diversités culturelles.

De quoi Peter aurait-il besoin pour rester motivé et fidèle à l’entreprise?

  • Avoir la possibilité de retourner dans son pays d’origine et pouvoir faire des aller retour fréquents.
  • Un poste prestigieux au siège.

Junkuan Wing*

L’autre candidat est Junkuan. De mère chinoise et de père indien, Junkuan a changé de pays tous les quatre ans car son père était diplomate. Il a fait une partie de ses études en Espagne et les a complétées aux Etats Unis.

Après un début de carrière chez un concurrent, il a été engagé dans le département commercial au siège. Il a ensuite été affecté au marketing pendant deux ans avant de partir à Singapoure où il a été responsable du marketing. Il a ensuite été promu directeur général de Taiwan, un marché émergent et de petite taille qui lui a fourni une bonne base de développement. Il a bénéficié d’un coaching de qualité, ce qui lui a permis de réussir à Taiwan où le directeur précédent avait, lui, échoué.

Il a passé les deux dernières années au siège où il était responsable du marketing pour l’Europe. Lorsque vous lui avez parlé de cette opportunité de Shanghai, il était ravi et a admis que travailler au siège était parfois un peu étouffant. «Avant de prendre une décision, il faut consulter trop de monde. Le rythme au siège est long et implique beaucoup de politique», a-t-il ajouté.

Junkuan/Forces

  • Il sera probablement très à l’aise dans des situations complexes et excitantes qu’il prend plaisir à résoudre, par esprit de jeu, car pour lui c’est un défi motivant.
  • S’identifie avec plusieurs cultures et par conséquent dispose de plusieurs filtres pour interpréter les autres cultures. Il comprend que sa culture n’est qu’une parmi tant d’autres. Il aime être exposé à un environnent multiculturel où ses propres identités culturelles multiples lui sont utiles.
  • Très adaptable étant donné qu’il a dû lui-même s’adapter à différents environnements, à de nouveaux contextes, et à des personnes différentes à de nombreuses reprises lorsqu’il était enfant.
  • Parle plusieurs langues depuis l’enfance et a intégré les façons de voir et les biais culturels de chacune de ces langues.
  • Aime être autonome et travaille particulièrement bien quand il dispose d’une certaine liberté pour exprimer sa créativité.
  • Esprit d’entreprise.
  • Dispose d’un important réseau international et qu’il maintient par le biais des réseaux sociaux.

Junkuan/Faiblesses

  • Etant donné qu’il est convaincu de sa réussite, il est moins tolérant avec d’autres personnes qui voient les problèmes plutôt que les possibilités.
  • Peut être agaçant, du fait de sa tendance à questionner le statu quo et à ne pas nécessairement suivre les ordres de manière rigoureuse.
  • Est susceptible de s’ennuyer rapidement et évite les travaux routiniers et les procédures.
  • S’il est insatisfait face à une situation, il n’hésitera pas à en changer, étant donné que le changement lui est naturel.

De quoi Junkuan aurait-il besoin pour rester motivé et fidèle à l’entreprise?

Tout le monde a besoin d’éléments de stabilité dans un contexte de constants changements et Junkuan ne fait pas exception à la règle.  A la différence de Peter, Junkuan ne dispose pas d’un réseau local mais d’un réseau international. Peter a besoin de retourner à son contexte familier de manière périodique.

Junkuan, quant à lui, a besoin d’un ordinateur ou d’un téléphone pour rester en contact de manière virtuelle. Junkuan recherche un contexte de stabilisation qui peut être fourni par sa famille, ou un idéal ou l’entreprise pour laquelle il travaille.

Tout élément qui pourrait mettre en péril ces facteurs de stabilisation risque de déstabiliser ce «James Bond» qui est fragilisé lorsqu’il perd l’un de ses ancrages. Il pourrait alors décider de faire ce qu’il fait de mieux: changer de décor. Dans ce cas, la compagnie en pâtirait puisqu’elle perdrait ce haut potentiel sur lequel elle a beaucoup investi.

* Tous les prénoms sont ficitifs.

Solution

Souvent, la décision d’expatrier un manager est fondée sur son expertise technique ou sur ses performances dans son pays d’origine. Cet élément ne permet pourtant guère de prédire sa performance à l’étranger. Etant donné que 40 pour cent des dirigeants échouent dans les 18 mois qui suivent une prise de fonction dans un nouveau contexte, il convient de distinguer de manière plus précise entre les différents profils d’expatriés.

Junkuan et Peter sont des bons professionnels et sont utiles à l’organisation de manières différentes. Si l’organisation est déjà bien implantée dans le pays, Peter sera le meilleur candidat. L’enjeu sera alors de travailler sur la culture d’entreprise et d’harmoniser les procédures avec celles du siège. Comme Peter s’identifie fortement avec son entreprise et connaît bien la maison, il sera le mieux à même d’atteindre cet objectif.

S’il s’agit d’une opération de démarrage, dans le cas d’une start-up ou d’une nouvelle filiale, où la compréhension de la culture locale est essentielle pour adapter un produit aux besoins locaux, Junkuan, qui est habitué à s’adapter à diverses cultures et à interpréter différents états d’esprit et manières de penser peut s’avérer être un choix judicieux.

 

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Katrina Burrus a crée et dirige MKB Conseil & Coaching depuis 1994. Elle coache des dirigeants de multinationales et de grandes organisations internationales en Suisse romande, Europe, Asie et aux Etats-Unis. Elle détient trois masters et un PhD en développment humain et organisationnel de l'Université de Fielding Graduat (Etats-Unis). Elle fut la première Master coach certifiée par l'International Coaching Federation à s'établir en Suisse. Elle a notamment conseillé, parmi d'autres, le groupe Nestlé, Novartis, les Nations Unies, l'OMC et le CERN. Elle se définit elle-même comme une dirigeante nomade puisqu'elle a grandi en Italie, en Allemange, en Suisse et en Espagne.

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