Syndicat et patronat croisent le fer autour de la libre circulation
Invités à débattre par HR Today, le syndicaliste Paolo Gilardi et la représentante patronale Sabine von der Weid décortiquent les enjeux de la votation du 25 septembre. «Modification brutale des conditions d’existence de quelques millions de personnes» ou «l’occasion de relancer l’économie suisse»? Face à face.
HR Today: Paolo Gilardi, vous êtes syndicaliste et défendez le non à la votation sur la libre circulation des personnes (LCP) aux dix nouveaux membres européens. Expliquez-nous votre position.
Paolo Gilardi: «Un oui le 25 septembre conduira probablement à la modification brutale des conditions d’existence de quelques millions de personnes. De ce point de vue-là, on ne peut pas prendre la chose à la légère en parlant d’un droit général à la libre circulation. Au contraire, il s’agit bien de réactiver la politique des entreprises suisses dans le recrutement de main d’œuvre dans les dix nouveaux pays de l’Est. L’enjeu est celui du dumping salarial et social qui peut être entraîné par cette politique. C’est la raison pour laquelle nous pensons qu’il est aujourd’hui indispensable de refuser cette nouvelle forme de recrutement en disant oui à la libre circulation, mais pas à ces conditions.»
Sabine von der Weid, vous êtes ici pour représenter l’économie qui soutient le oui. Pourquoi?
Sabine von der Weid: «D’abord, il faut rappelé que l’économie suisse ne marche pas bien. Nous avons un taux de croissance qui stagne à 1,4 pour cent. Comme un franc sur trois est gagné grâce aux exportations, il est absolument indispensable que nous puissions accéder à de nouveaux marchés. En ce qui concerne le recrutement, il est très important de dire que la libre circulation va se faire de manière progressive jusqu’en 2011, voire 2014. Pour des questions de contingentement, c’est-à-dire: avant d’engager un Européen des pays de l’Est, il faudra d’abord regarder s’il n’y a pas quelqu’un sur le marché local. Sur la question du dumping salarial, je souhaite rassurer Monsieur Gilardi. Parce que sans la LCP il n’y aura pas de mesures d’accompagnement qui permettent justement de contrôler ces cas d’abus.»
Monsieur Gilardi, comme elle vient de le dire, des mesures d’accompagnement, négociées et soutenues par la majorité des syndicats, sont prévues…
Paolo Gilardi: «Prenons ces mesures une à une. La première exige que le nombre d’inspecteurs du travail soit considérablement augmenté. Mais on ne fixe aucun chiffre. Et on avance au niveau syndical l’exemple de Bâle-Campagne. Si on devait appliquer à l’ensemble de la Suisse le régime Bâle-Campagne, cela signifierait l’engagement d’au moins 800 inspecteurs. Or, actuellement, les chiffres qui sont articulés sont de l’ordre de 150 à 200. On nous dit également qu’il doit y avoir dénonciation aux commissions tripartites. Mais ces commissions n’ont fait leurs preuves qu’à Genève et à Berne. Enfin, on avance l’extension des conventions collectives de travail (CCT). Or on sait aujourd’hui qu’une bonne partie des associations patronales quittent les CCT pour ne pas devoir appliquer des barèmes tel que travail égal, salaire égal. Voilà la réalité.»
Madame von der Weid, des promesses qui ne seront pas tenues?
Sabine von der Weid: «Rappelons d’abord qu’il y quatorze mesures prévues. L’engagement des inspecteurs en est une parmi d’autres. Concernant leur nombre, il a été fixé à 150. Ils seront répartis en fonction des besoins et de la situation des cantons. Quant à la dénonciation dans les commissions tripartites, Monsieur Gilardi, je crois que vous n’êtes pas au courant. Le seco et la task force fédérale vous le prouveront: actuellement on a des commissions tripartites dans tous les cantons, et elles marchent de mieux en mieux. C’est vrai qu’il y a eu une période d’adaptation. Le partenariat social n’était pas connu dans le reste de la Suisse. Quant aux CCT, là je suis obligée d’aller dans votre sens. C’est vrai qu’elles perdent un peu d’intérêt. Il n’en demeure pas moins que nous les défendons toujours.»
Sabine von der Weid, de la part d’une représentante de l’économie, en général hostile à l’intervention de l’Etat, ces mesures d’accompagnement vont vers une surréglementation du marché du travail. C’est tout de même étonnant?
Sabine von der Weid: «Non, je ne le pense pas. Ce n’est pas parce qu’on défend le patronat qu’on est opposé à un système légal qui soit satisfaisant. Evidemment, on n’est pas très favorable à ce qu’on entre dans tous les détails. Mais dans ce cas particulier, il est vraiment important que les employés et les travailleurs puissent conserver leurs emplois. Et sans ces mesures contre le dumping salarial, on mettrait en danger les places de travail. Le patronat souhaite que l’économie marche. Et pour cela il faut évidemment que les travailleurs aient des conditions satisfaisantes.»
Paolo Gilardi: «Vous vous découvrez une vocation de syndicaliste et de socialiste Madame von der Weid…»
Sabine von der Weid: «Pas du tout!»
Paolo Gilardi: «Mais vous êtes pour la défense des emplois alors que vous soutenez justement le patronat qui supprime et qui continue à supprimer des places de travail.»
Sabine von der Weid: «Mais on en crée d’autres Monsieur, le marché évolue!»
Donc, ces mesures d’accompagnement ne vont pas freiner la croissance?
Sabine von der Weid: «Non, mais il est vrai que nous ne sommes pas favorables aux fortes réglementations. Pour nous, ces mesures sont un passage obligé.»
M. Gilardi, en défendant le non, ne craignez-vous pas faire le jeu de l’UDC et de nourrir la xénophobie?
Paolo Gilardi: «Dans ce pays, chaque fois qu’on a un désaccord, on vous brandit l’épouvantail de l’UDC. Je crois que le problème n’est pas de savoir à côté de qui on se retrouve. Mais de savoir ce que l’on veut défendre. Or, j’estime que devant ce danger de détérioration brutale des conditions de vies de millions de personnes, ce qui est important, ce sont nos propres intérêts. Dire aux Estoniens: oui, venez travailler en Suisse mais à un salaire égal aux nôtres, ça c’est combattre la xénophobie.»
Mais vous admettez quand même qu’un non créerait une discrimination entre les Dix et les Quinze?
Paolo Gilardi: «Cela nous obligerait à renégocier. Et avec des conditions différentes.»
Sabine von der Weid: «Là, l’Union européenne (UE) ne sera peut-être pas d’accord. Mais je voudrais ajouter quelque chose au sujet des conditions de travail. Si la LCP ne passe pas, les entreprises vont délocaliser. Car même sans accords bilatéraux, elles vont continuer à collaborer avec l’UE. Elles seront obligées de quitter la Suisse.»
Paolo Gilardi: «Vous faites du chantage aux délocalisations. Vous le savez bien, les conditions cadres pour les entreprises en Suisse sont meilleures qu’ailleurs. On ne délocalisera pas impunément. Deuxièmement, la renégociation des accords est un fait. Les intérêts sont trop importants pour qu’on puisse rester sur un statu quo. Aussi bien l’UE que la Suisse auront besoin de renégocier.»
Sabine von der Weid: «Ou alors l’UE nous dira que c’est à prendre ou à laisser.»
Paolo Gilardi: «Ou peut-être serez-vous obligés de faire des concessions aux salariés de ce pays.»
Sabine von der Weid: «NOUS devrons faire des concessions, Monsieur Gilardi, pas seulement le patronat.»
Monsieur Gilardi, le vice-président du syndicat UNIA Vasco Pedrina estime qu’un non le 25 septembre serait une catastrophe pour l’économie et l’emploi. Etes-vous prêt à assumer ce risque?
Paolo Gilardi: «Il y a un an, Vasco Pedrina disait que l’extension de la libre circulation – sans de véritables droits sociaux – serait une catastrophe. Il a tourné sa veste. C’est son choix. En ce qui me concerne, je pense que la catastrophe serait d’ouvrir la voie à une baisse généralisée des salaires en Suisse.»
Madame von der Weid, en cas de oui le 25 septembre, allez-vous continuer de conclure des alliances avec la gauche?
Sabine von der Weid: «La gauche et la droite partent du principe que la situation du pays n’est pas excellente. Pour l’économie, la LCP est indispensable. La gauche dit quant à elle: nous sommes d’accord parce que vous avez prévu des garde-fous.»
Paolo Gilardi: «Une partie de la gauche.»
Sabine von der Weid: «Oh, une grande partie. Vous, vous n’êtes qu’une petite minorité.»
Paolo Gilardi: «On verra ça le 25 septembre.»
Les intervenants
Paolo Gilardi est vice-président du syndicat des services publics de Genève. Connu pour son activité au sein du GSSA (Groupe pour une Suisse sans armée), il est aujourd'hui membre du mouvement pour le socialisme et professeur. Il est également professeur dans un collège genevois.
Sabine von der Weid dirige l'Union des associations patronales genevoises. Après une formation de juriste, elle a travaillé au Ministère public de la Confédération. A la Fédération des Entreprises Romandes (FER), à Genève, elle est spécialisée dans le droit du travail.