Fraude en organisation

Comment instaurer un processus de whistleblowing efficace en entreprise

Plus de la moitié des fraudes en entreprise sont commises par le personnel interne. Les dénonciateurs (lanceurs d’alertes) restent pourtant mal protégés en Suisse. Alors que la loi suisse est en train de changer, une société de conseil vient de développer un nouveau service de whistleblowing. Une procédure très sensible. Mode d’emploi. 

L’affaire Resende de la Radio Suisse Romande illustre à quel point l’instauration d’une procédure de whistleblowing est délicate. Pour mémoire, l’informaticien de la RSR avait dénoncé à sa hiérarchie le téléchargement de fichiers pornographiques suspects par un directeur adjoint à la direction des programmes. 

Après enquête et sanctions (blâme, suivi psychologique et délai d’épreuve), la direction demande au dénonciateur, Jorge Resende, de respecter la confidentialité sur cette affaire. Une promesse qu’il ne tient pas et qui lui vaut son licenciement deux ans après les faits. Puis les médias s’en mêlent et tout s’emballe. La RSR estime aujourd’hui à plus de 2 millions de francs les dégâts causés par cette affaire. 

Elle montre surtout à quel point une procédure de whistleblowing est encore mal maîtrisée dans la plupart des entreprises suisses. C’est pour tenter de remédier à cette lacune que la société Movis est en train de lancer un nouveau service de whistleblowing. Basée à Zurich, avec une vingtaine de représentations en Suisse, Movis une société de conseil fondée en 1922, spécialisée dans le conseil social et le case management. 

«Nous intervenons également sur les problématiques de mobbing et de harcèlement sexuel, avec une hotline et un service de consultation spécialisé», argumente le Valaisan Pierre Thétaz, responsable pour la Suisse romande.

Vers une modification de la législation suisse

Mais si Movis a décidé de développer son nouveau service, c’est aussi en raison d’une prochaine modification de la législation suisse en faveur des lanceurs d’alertes (whistleblowers). La législation suisse protège peu ce genre d’informateurs. Deux affaires illustrent bien la jurisprudence actuelle.

La première est celle d’une veilleuse de nuit en EMS qui, à l’insu de son employeur, a tourné un film à l’intérieur de l’entreprise avant de remettre la bande à la Télévision Suisse Romande (TSR). Licenciée avec effet immédiat, elle a déposé plainte pour licenciement abusif. Les tribunaux cantonaux lui donnent d’abord raison. Mais l’employeur fait recours et gagne devant le TF en 2001. Les juges ont estimé que l’employée avait gravement violé son devoir de loyauté et de discrétion en fustigeant son employeur sur la place publique. 

L’autre affaire est celle d’un employé de banque qui a contacté l’avocat de son établissement pour dénoncer des pratiques frauduleuses. Licencié lui aussi, il a par contre bénéficié d’une indemnité de 30´000 francs pour licenciement abusif. Le TF a estimé qu’il avait agi correctement en s’adressant d’abord à l’avocat de son employeur. 

Selon Valérie Junod, Professeur de droit des affaires à l’Université de Lausanne et spécialiste du whistleblowing, «la nouvelle loi prévoit justement une meilleure protection du dénonciateur si ce dernier alerte d’abord son employeur, puis les autorités compétentes et enfin seulement les médias.» 

Tout l’enjeu est d’éviter que les collaborateurs dénoncent des faits répréhensibles auprès des syndicats ou, pire encore, auprès des médias. Le problème se situe donc bien au niveau de la sécurité des canaux internes. A cela s’ajoutent les risques de représailles. Selon une étude*, 50 pour cent des fraudes sont commises à l’interne, dont la moitié par le top management. 

Mais dénoncer un cadre supérieur est un geste très délicat. «Aux Etats-Unis, dans certains cas de whistleblowing (les fraudes envers l’Etat ou les fraudes fiscales ne sont pas concernées), les dénonciateurs reçoivent entre 15 et 30 pour cent de l’amende infligée au fraudeur. Cette incitation financière contribue nettement au nombre d’alertes», note Valérie Junod. 

Si de plus en plus de grandes sociétés (Novartis, ABB et UBS notamment) ont mis en place des hotlines anonymes pour recueillir les témoignages, la pratique est encore peu répandue, surtout dans les PME. Le système «Integrity Line» proposé par Movis a l’avantage d’être neutre.

La société s’est associée avec BDO, société d’audit, de fiduciaire et de conseil, pour les aspects juridiques. Mettre en place un processus de whistleblowing démarre au niveau du corporate governance. Le conseil d’admini stration doit définir quelles sont les sources possibles d’informations (salariés, clients, fournisseurs ou agents), puis déterminer les types de fraude qui seront pris en compte et surtout définir les rôles de chacun en cas d’alerte. 

«Une fois que ces points ont été clarifiés, il s’agit de les mettre sur papier et de rédiger un code de conduite», note Pierre Thétaz. La troisième étape consiste à former l’ensemble des collaborateurs à cette nouvelle culture d’entreprise: «Le personnel doit clairement saisir qu’un acte de whistleblowing sera soutenu par la direction.»

Plusieurs canaux possibles: e-mail, hotline, plate-forme en ligne

Dans la pratique, le modèle élaboré par Movis prévoit plusieurs canaux de signalement: e-mail/boîte aux lettres; hotline ou plate-forme en ligne. Tous ces canaux sont gérés par un comité d’audit interne. Ainsi, les informations restent dans le circuit fermé de l’entreprise. Une fois que le signalement a été lancé, le comité d’audit mène une enquête et donne une réponse au whistleblower dans les trois jours. 

Pierre Thétaz prévient: «Ces retours sont très importants. Les lanceurs d’alertes doivent être légitimés pour que le système fonctionne.» Enfin, notez que toute la procédure doit être contrôlée régulièrement et les abus sanctionnés avec sévérité. 

* Sondage de l’«Association of Certified Fraud Examiners» (ACFE)

Les intervenants 

 

 

 

Pierre Thétaz est le responsable romand de la société de conseil Movis. Lien www.movis.ch

Les intervenants 

 

Valérie Junod est professeur de droit des affaires à l’Université de Lausanne.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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