La personnalité prime bientôt sur la compétence dans le recrutement
Dans une économie de plus en plus mouvante et instable, la personnalité des candidats gagne en importance. Quelles sont les implications de cette tendance? Comment évaluer une personnalité? Et quelles sont les bonnes pratiques en termes de recrutement aujourd'hui?

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Dans le langage parlé, une personnalité est quelqu’un qui a du charisme, qui en jette ou qui force l’admiration. Ce n’est pas de ces mâles alpha au teint bronzé et aux idées visionnaires dont nous parlons ici. Les personnalités qui intéressent aujourd’hui les recruteurs en entreprise désignent plutôt des traits de caractère profonds, la partie immergée de l’iceberg d’une identité professionnelle. Certains recruteurs parlent aussi de potentiel. Mélange mystérieux d’ADN et d’apprentissage en contexte, le développement de la personnalité est un vaste champ de la psychologie.
Obsolescence des compétences
Cet intérêt récent pour ces personnalités profondes s’explique pour plusieurs raisons. L’économie se numérise et se transforme à grande vitesse. Personne ne sait vraiment de quoi sera fait le monde du travail de demain. Ce qui est certain: les métiers changent et l’obsolescence des compétences s’accélère. Selon le Future of Jobs Report 2025, 40% des compétences professionnelles sont amenées à changer d’ici à 2030. Dans ce contexte, les entreprises cherchent des personnalités ouvertes au changement et de nature sympathique et agréable. En parallèle, on assiste à la montée en puissance de l’équipe, qui est au cœur des organisations du travail de demain. Dans une économie imprévisible et instable, l’intelligence collective prime sur la performance individuelle. Et pour créer une équipe performante, la diversité des personnalités est clé.
Acteur, agent, auteur
Mais la personnalité est un sujet complexe et aux définitions multiples et mouvantes. Docteur en psychologie à la Northwestern University dans l’État d’Illinois aux États-Unis, Dan McAdams montre dans un livre de 2015 (1) comment une personnalité se développe en trois couches: nous sommes des acteurs, des agents et des auteurs de notre propre auto-biographie. Ces trois niveaux s’entremêlent et se développent selon les contextes et les âges. Cette construction tient compte de notre héritage génétique, de notre environnement, de nos motivations profondes et de l’histoire que nous voulons bien raconter.
Big Five
Dès notre naissance, nous devenons des acteurs de notre propre vie. Après quelques semaines déjà, nous comprenons que certains comportements ont un effet sur notre entourage. La communauté scientifique a défini cinq traits de personnalité de base (les Big Five), qui forment la première couche de notre personnalité. Les voici: l’extraverti interagit facilement avec les autres, dispose d’un bon équilibre émotionnel mais peut parfois être plus colérique. Le névrosé est anxieux et craintif, il ou elle aura tendance à ruminer, à se sentir vulnérable et risque d’avoir peu de confiance en lui/elle. L’agréable est gentil, respectueux des autres, empathique, bon dans la collaboration et pardonne facilement. Le consciencieux est travailleur, discipliné, responsable, de confiance et bien organisé. Et enfin l’ouvert au changement est original, créatif, complexe et curieux.
ADN et environnement
Nous avons tous, à des degrés variables, ces cinq traits de personnalité. Georges W. Bush est un grand extraverti. Steve Jobs était un créatif qui a changé le monde, mais très désagréable avec son entourage. Nous héritons 50% de ces traits de personnalité via nos gènes. Le reste se développe au travers de nos interactions avec notre entourage. McAdams montre qu’il se joue un complexe va-et-vient entre notre personnalité et notre envi- ronnement. Ces traits de personnalité vont rester relativement stables durant toute notre vie. Et plus nous grandissons, plus nous allons choisir des rôles qui correspondent à nos traits de personna- lité profonds. Les études montrent aussi que nous avons tendance à devenir plus agréable avec l’âge.
Personnalité vs soft skills
Ces traits de personnalité sont souvent confondus avec les soft skills. Ces compétences relationnelles (communication, travail collaboratif, intelligence émotionnelle, pensée critique) peuvent s’apprendre, tout comme des compétences techniques. Le lien entre soft skills et personnalité est notre capacité à réguler nos émotions. Pour réussir la collaboration dans un groupe, un être humain doit se connaître et maîtriser ses émotions.
Un terrain glissant
Cet intérêt pour la personnalité profonde des individus n’est pas sans risque. La critique sociologique estime que l’entreprise cherche désormais à mobiliser la partie la plus intime de l’être humain à des fins commerciales. Le risque est aussi de créer une économie des «heureux élus», où certains traits de personnalité (extraversion, conscience professionnelle et ouverture au changement) primeraient sur d’autres. Une autre difficulté est l’évaluation de ces traits de personnalité, souvent réalisée grâce à des portails en ligne aux fondements scientifiques douteux. L’enjeu est de s’appuyer sur un test validé. Aujourd’hui, la communauté scientifique cautionne unique- ment les tests qui évaluent les cinq traits de personnalités de base décrits plus haut (Big Five).
180 biais cognitifs
L’évaluation des personnalités risque aussi d’être influencée par nos biais cognitifs. Par effet miroir, un recruteur aura tendance à choisir des personnalités qui lui ressemblent. Dans un livre sur l’influence des biais dans le processus de recrutement (2), Marie-Sophie Zambeaux montre que le cerveau humain navigue à travers plus de 180 biais cognitifs. Comme l’être humain prend en moyenne 35 000 décisions par jour, notre cerveau est obligé de prendre des raccourcis. Mais ces raccourcis mentaux et inconscients (la définition d’un biais cognitif) nous induisent en erreur. Comme l’a dit le philosophe allemand Emmanuel Kant: «Nous ne voyons pas le monde tel qu’il est, mais tel que nous sommes.»
Méthodes scientifiques
Le biais de confirmation risque par exemple d’influencer notre jugement lors d’un entretien si la lecture du CV, avec des diplômes d’une école prestigieuse, nous a laissé une bonne impression. Autre biais possible: l’effet Dunning-Kruger qui fait que les personnes moins compétentes ont tendance à surestimer leurs capacités, alors qu’à l’inverse, les personnes très compétentes dans un domaine auront tendance à sous-estimer leurs capacités. L’auteur donne aussi une série de recommandations pour diminuer l’effet de ces bais lors d’un recrutement: former les recruteurs, mais aussi les managers à ces risques de biais, structurer la prise de décision, recourir à des entretiens structurés, des tests techniques ou des mises en situation (les trois méthodes validées scientifiquement pour augmenter l’objectivité de l’évaluation d’un candidat).
Expérience candidat
Dans un guide pratique sur le recrutement publié en 2024, Élise Moron et Léo Bernard (3), deux recruteurs expérimentés, partagent leurs conseils pour améliorer la qualité des recrutements dans un écosystème digital. Selon eux, les tests de personnalité en ligne doivent être utilisés avec parcimonie. Ils montrent aussi que l’expérience candidat prime aujourd’hui sur tout le reste. Un processus de recrutement ne doit pas dépasser quatre étapes. La transparence du processus est clé: transparence sur le salaire dès le premier entretien, transparence sur les différentes étapes du processus et sur les raisons d’une réponse négative par exemple.
La préparation est clé
Enfin, la préparation du recrutement en amont est souvent bâclée. Les auteurs conseillent de toujours commencer par une séance kick-off avec le manager, un expert métier et le recruteur/responsable RH. L’idée est de bien cerner la personnalité recherchée ainsi que les compétences (hard et soft). Cette préparation implique aussi de se demander si ces compétences/ profils ne sont pas déjà disponibles en interne. L’Oréal remplace par exemple la plupart de ses postes clés en interne (des postes plus difficiles à trouver) et recrute à l’externe des jeunes diplômés en début de carrière. Le recrutement est aussi un sport d’équipe, rappelle Léo Bernard et Élise Moron. Une décision prise à plusieurs sera toujours de meilleure qualité que l’avis éclairé d’une personnalité charismatique.
(1) Dan P. McAdams: The Art And Science of Personality Development, éd. The Guilford Press, 2015, 368 pages.
(2) Marie-Sophie Zambeaux: Recrutement sous influence, éd. Dunod, 2025, 220 pages.
(3) Elise Moron et Léo Bernard: Permis de recruter, éd. Eyrolles, 2024, 382 pages.