Personnalité vs compétence

«Nous cherchons désormais du potentiel plutôt qu'une compétence technique»

Quel rôle joue la personnalité lors d'un recrutement? Aujourd'hui, le matching entre ces traits de personnalité, la culture d'entreprise et les valeurs de l'équipe gagnent en importance. Quatre experts analysent ce trend et livrent leurs conseils pour augmenter la qualité d'un recrutement.

De plus en plus de recruteurs cherchent des personnalités plutôt que des compétences. Comment expliquez-vous cette tendance?

Adrian Bangerter: Chercher une personnalité ne renvoie pas forcément à l’évaluation de la personnalité. Dans le langage parlé, une personnalité désigne une personne qui a du charisme. 

Leila Claivaz: Le métier de recruteur a beaucoup évolué ces dernières années. Par le passé, les entreprises cherchaient des compétences techniques et le recruteur était là pour fournir des CV. En entretien, c’était surtout la ligne qui évaluait les compétences techniques. Depuis, le métier de recruteur a gagné en légitimité, notamment via les entretiens structurés. Les outils permettent d’augmenter la prédictivité. Cela reste une science humaine avec une part d’imprévisibilité, mais la légitimité des recruteurs est beaucoup plus forte aujourd’hui aux yeux du business. Je dirais même que nous vivons un tournant et que nous cherchons désormais du potentiel plutôt qu’une compétence technique. La personne sera-t-elle capable d’apprendre de nouvelles compétences, de changer de métier ou d’évoluer dans son job? 

Nathalie Brodard: Dans nos recrutements, nous cherchons à aligner les compétences techniques, l’expérience professionnelle avec les exigences du poste. Celles-ci restent indispensables pour garantir la performance et l’efficacité. Cependant, lorsque deux candidats présentent des compétences équivalentes, ce sont les soft skills et la personnalité qui font la différence. Des qualités comme l’agilité, la proactivité, la capacité à s’adapter ou l’intelligence émotionnelle sont devenues des critères clés. Pour des profils plus juniors, nous pourrions imaginer de recruter sur la personnalité seule, en partant du principe que les compétences techniques s’acquièrent avec la pratique et la formation. En somme, à compétence égale, c’est la personnalité et le potentiel qui font la différence. 

Serge Ballesteros: Pour paraphraser l’acteur et réalisateur Alexandre Astier: «Je ne travaillerai jamais avec quelqu’un avec qui je ne pourrai pas aller déjeuner.» À mon sens, choisir une personnalité, c’est donc choisir quelqu’un qui a du potentiel et qui est sympa. C’est bien connu, les managers toxiques font fuir les bons collaborateurs. 

Et que pensez-vous du potentiel? 

SB: Un livre blanc sur les pratiques du recrutement en Suisse (publié en 2024 par von Rundstedt, ndlr), a montré que 70% des recruteurs suisses cherchent à remplacer des pommes par des pommes. Mais remplacer une pomme par une poire devient impensable pour de nombreuses entreprises. Je le constate auprès de mes clients. Quand vous recrutez du potentiel, vous pouvez remplacer une pomme par une poire (sourire). Arrêtons donc de nous focaliser sur ces fameux moutons à cinq pattes et privilégions le potentiel. 

Les entreprises devraient donc élargir les critères... 

SB: Oui. Quand j’ai commencé à recruter il y a une trentaine d’années, l’employeur partait du principe qu’un·e candidat·e avec un CFC et un permis de conduire était capable d’apprendre, et donc qu’elle pouvait lui proposer d’autres missions si besoin. Cette réalité a été oubliée. Il faut donc le rappeler aujourd’hui: si une personne a acquis certaines compétences, même si elles ne sont pas forcément transposables, elle est capable d’en acquérir d’autres. 

NB: Dans la finance, les mentalités évoluent aussi. Avant, certains gestionnaires de fortune étaient recrutés et même promus malgré leur comportement toxique, car ils faisaient de très bons chiffres. Aujourd’hui, les banques y réfléchissent à deux fois: ces profils causent trop de dégâts dans les équipes. Elles préfèrent désormais des collaborateurs alignés avec leur philosophie, leur vision et leurs valeurs. On privilégie aujourd’hui des personnalités plus équilibrées, capables de fédérer et de contribuer à une ambiance saine. 

SB: Personne ne va acheter son pain chez un boulanger qui est désagréable. Même s’il est bon. Pourquoi passer huit, neuf ou dix heures avec des personnes avec qui nous n’avons aucune affinité? 

LC: C’est pour cela que nous parlons aujourd’hui plutôt de talent management et que nous évaluons autant le potentiel que la performance. Chez Audemars Piguet, avant d’aller chercher un profil à l’externe, nous cherchons à développer les compétences en interne. Nous avons d’ailleurs augmenté notre mobilité interne de plus de 10% par rapport à 2023. Nous valorisons cette capacité à continuer à apprendre et à se développer en interne de l’entreprise. C’est tout un mindset qui est en train de changer. 

NB: Il est essentiel de ne pas tomber dans le piège du recrutement miroir en cherchant uniquement des personnalités qui nous plaisent ou qui nous ressemblent. Au contraire, il faut veiller à composer des équipes équilibrées, avec des personnalités variées et complémentaires. 

SB: Oui, nous avons d’ailleurs développé un outil pour évaluer ces différents types de personnalité. 

LC: Par rapport à ces tests de personnalité, nous en discutons beaucoup dans l’équipe. Nous avons par exemple tous passé le Predictive Index (PI). En effet, ces tests peuvent aussi aider dans la dynamique des équipes en rappelant l’importance de la diversité des profils. Une équipe performante est souvent faite de profils différents sachant collaborer. Je veille par exemple aux profils des recruteurs et qu’ils puissent tous amener leurs visions et expériences, car le travail d’équipe est important dans ce métier. 

Peut-on apprendre et développer une personnalité? Ou sommes-nous nés avec certaines dispositions qui constitueront notre personnalité jusqu’à notre mort?

SB: Un peu des deux. Je pense que nous pouvons apprendre certaines compétences relationnelles tout en ayant une personnalité propre qui va perdurer. 

AB: Oui, les traits de personnalité au sens étroit sont des choses relativement fixes. Bien que certaines recherches récentes ont montré qu’ils peuvent aussi changer. Les études indiquent par exemple que nous avons tendance à devenir plus agréables au cours de la vie. Les circonstances de vie changent aussi. Je pense par exemple à des personnes qui apprennent, lors d’une psychothérapie brève, à être moins timide et à interagir de manière plus efficace. Mais nous basculons déjà vers les compétences. Typiquement, l’esprit d’initiative ou la proactivité sont des compétences qui peuvent s’apprendre. Et notre personnalité va nous aider à développer ces compétences. Si je résume, la compétence s’exprime à travers nos comportements alors que la personnalité existe indépendamment de la situation. 

NB: Je pense que nous avons tous une personnalité de base, avec des traits qui nous définissent et qui ne changent pas beaucoup. Mais ça ne veut pas dire que nous ne pouvons pas évoluer. Nous pouvons apprendre à mieux gérer nos émotions, à être plus à l’aise en public, à prendre des initiatives, même si nous sommes de nature réservée. Pendant la pandémie, j’ai vu des gens se révéler alors que je ne m’y attendais pas. 

LC: C’était sans doute l’illustration de leur personnalité profonde. Une personne naturellement extravertie a sans doute vécu beaucoup plus difficilement ces longues périodes d’isolement alors que quelqu’un d’introverti a pu s’y adapter beaucoup plus facilement. 

AB: Votre exemple montre que la personnalité n’est pas toujours prédictive. Elle va s’exprimer différemment selon les situations. Il y a des situations dites plus faibles qui permettent à une personnalité de s’exprimer et des situations plus fortes, dans un tribunal par exemple, où les choses sont très cadrées et où les différences de personnalité seront moins visibles. Durant le Covid, la situation a changé drastiquement et cela a permis à certains traits de personnalité d’être plus facilement observables. 

SB: Et il y a aussi des personnes qui forcent les traits de leur personnalité. Je pense à des profils qui montrent peu d’émotions avec une capacité de décision rapide. Ce sont des profils qui performent en entreprise et qui montent très vite dans la hiérarchie. Mais à un certain moment, ils deviennent insupportables, hautins et cassants à cause justement de leur capacité à décider vite et sans émotion. Du coup, ils se font parfois éjecter sans comprendre pourquoi. 

NB: À mon sens, nous pouvons tous progresser sur certains aspects de notre personnalité, comme l’intelligence émotionnelle ou la prise de parole en public. Avec du temps et de l’entraînement, nous pouvons développer ces compétences et gagner en assurance. Cela dit, nos fondations profondes restent les mêmes, et c’est souvent dans les moments de stress ou de pression que nos traits les plus ancrés refont surface. 

LC: Nous utilisons beaucoup les assessment centers pour cerner ces traits de personnalité plus profonds, ces modes de fonctionnement, ces potentiels... Ces assessment centers permettent de mettre la personne en situation, avec des jeux de rôle, afin d’observer comment elle réagit sous stress par exemple. 

Nous aurions tendance à assigner certains rôles à certaines personnes et à les enfermer dans ces rôles?

LC: Oui, et un assessment peut révéler d’autres manières de faire. 

NB: Nous les utilisons souvent pour les recrutements seniors. C’est très intéressant, car nous observons des réactions différentes selon le contexte: certains profils s’expriment mieux en entretien individuel, tandis que d’autres révèlent leur potentiel face à des situations exigeant une réponse rapide. 

Si je résume, il y a une part de la personnalité profonde, et une partie liée aux soft skills, qui peut évoluer. Quand vous évaluez un profil, évaluez-vous ces deux dimensions? 

LC: Oui. La personnalité intrinsèque, plus profonde, est plus difficile à évaluer. Alors qu’avec les comportements observables c’est plus facile. Cela dit, notre métier est d’essayer de rendre le recrutement le plus prédictif possible. 

Pourquoi est-ce si difficile d’analyser la partie profonde? 

SB: Car nous ne sommes pas des psychologues (sourire). 

NB: En 40 minutes d’entretien, un candidat peut raconter ce qu’il veut. 

SB: Et certains d’entre eux nous mentent parfois. 

NB: Nous construisons des relations avec les candidats sur le long terme. Ils ne sont pas toujours pressés de changer de poste et il n’y a pas toujours le poste qui leur correspond immédiatement. Ces échanges réguliers, autour d’un café ou lors d’événements, nous permettent de bien comprendre leur personnalité et de proposer à nos clients des profils parfaitement alignés avec leurs besoins. 

AB: Ce serait intéressant de faire ici une distinction entre les différentes utilisations de la personnalité. Par vos métiers, vous vous intéressez beaucoup à l’interprétation et à la découverte de ce que vous appelez la dimension plus profonde d’une personnalité, par les assessments ou ce suivi dans la durée. L’autre manière d’utiliser les tests de personnalité dans le recrutement est dans un but de tri. Un test de personnalité permet d’écarter certains profils qui n’atteignent qu’un score minimum. 

Comment faire concrètement? 

AB: Vous pouvez définir qu’un niveau minimum de tel ou tel trait de personnalité, par exemple d’extraversion, est nécessaire pour le poste et vous éliminez tous les candidats en dessous de ce seuil. Il existe des tests scientifiquement valides qui permettent de le déterminer. Mais en éliminant les personnes sous ce niveau, vous prenez aussi le risque de perdre des personnes qualifiées. 

NB: Je pense que c’est une approche risquée, car elle pourrait nous faire passer à côté d’un candidat de grande qualité. Pour certaines fonctions, les profils sont rares et nous savons que ces tests peuvent parfois être contournés par des candidats habiles. 

AB: Cela dépendra de la situation. Si vous cherchez un exécutif, un talent pour un rôle particulier, vous risquez effectivement de perdre des candidats de valeur. Mais si c’est pour des postes avec beaucoup de candidats, vous allez en perdre certains, mais vous allez améliorer la qualité moyenne des gens qui restent dans le pool. 

LC: Pour certains postes, nous recevons 300 CV en deux jours. Nous sommes donc obligés de faire un tri. Aujourd’hui, la question qui se pose est: allons-nous trier manuellement 300 profils? L’intelligence artificielle peut aussi nous aider à vérifier si les hard skills exigés figurent dans les CV et donc prioriser les 50 meilleurs CV. Et certains employeurs utilisent ces tests de personnalité pour effectuer ce premier tri. 

SB: Personnellement, je lis tous les dossiers, sans exception. C’est comme ça que je vais identifier parfois des personnes neuro-atypiques ou avec des capacités cognitives hors norme. Grâce à mon expérience et une technique éprouvée, je les perçois à l’analyse des CV. Mais si vous écrémez les dossiers avec des tests, ces profils atypiques resteront dans les tréfonds et ne trouveront jamais de boulot. C’est dommage, car ce sont des gens absolument phénoménaux qui sont excellents dans certains projets spéciaux où il faut des personnes qui percutent. 

Et comment évaluez-vous les soft skills? 

LC: Grâce à des entretiens structurés. Aujourd’hui, ces compétences soft sont le nerf de la guerre. À chaque recrutement, nous définissons les compétences liées au poste, hard et soft. Les hard skills sont souvent évaluées par les personnes de l’opérationnel et les soft skills par le recruteur. Mais c’est toujours un travail d’équipe. 

Combien de compétences évaluez-vous pour un poste? 

LC: Entre trois et cinq. C’est difficile d’en évaluer plus pendant un entretien d’une heure. Cela dit, il y a d’autres moyens pour vérifier des hard skills: les business case ou les tests techniques par exemple. 

SB: Personnellement, j’utilise le test Wave, qui ne donne que des scores et permet donc d’aller chercher la personne au moment de l’interprétation des résultats. Je l’utilise à tous les niveaux hiérarchiques, de l’apprenti jusqu’au top management. 

Décrivez-nous les étapes qui vont augmenter la qualité d’un recrutement?

LC: Cela va dépendre du profil et du niveau hiérarchique. Si je résume, nous commençons par un brief avec le manager et son responsable RH. Ensuite, nous publions l’annonce, avec parfois une question-tri sur un hard skill indispensable pour le poste. Nous menons ensuite un premier entretien téléphonique pour s’assurer d’être aligné sur les fondamentaux, le salaire par exemple. S’en suivent les entretiens structurés, les business case, les tests techniques et parfois une brève rencontre avec l’équipe. Cela représente trois entretiens au maximum. Selon les profils, nous effectuons ensuite un assessment center ou un test de personnalité. Le choix final est pris par l’équipe qui a participé au processus en analysant les différents résultats. 

Le tout dure combien de temps? 

LC: Mon objectif est de le faire en 60 jours. À l’heure actuelle nous sommes à 70 jours pour le monde entier. 

Et pour un recruteur externe? 

NB: Il y a plusieurs étapes importantes, mais en résumé: nous définissons le descriptif du poste avec le client, publions une annonce anonyme et construisons en parallèle une cartographie des candidats. Progressivement, nous affinons cette sélection par des entretiens détaillés jusqu’à proposer une «short liste». Nous collaborons étroitement avec les ressources humaines, mais également le business. Cette approche permet des décisions rapides et efficaces. Notre valeur ajoutée est le gain de temps et l’accès aux profils qui ne sont pas visibles. 

SB: C’est à peu près la même chose chez moi. Je commence avec un premier entretien de déminage, un contact direct, avec ce moment subjectif où je me demande si j’ai vraiment envie de travailler avec cette personne. Je les invite ensuite à un entretien avec un test sur les valeurs pour cerner leurs envies. Ensuite, je propose le test Wave, suivi de deux entretiens téléphoniques où nous discutons les résultats. Je m’occupe ensuite du screening, de la prise de référence et je propose les candidats retenus au client. Le tout dure 30 jours. Et comme cela fait des années que je pratique, certains clients me demandent de leur envoyer qu’un seul dossier.

Tenez-vous compte des certificats de travail?

LC: Cela va dépendre de l’entreprise et de la qualité du certificat.

Existe-t-il un langage codé pour déchiffrer ces certificats?

SB: Non, c’est plutôt une convention. Si une personne finit au milieu de mois, il faut se demander pourquoi. La personne est-elle partie de son plein gré? Nous avons tous le droit à l’erreur, mais si c’est un schéma qui se répète, je vais en tenir compte.

Et les prises de référence?

NB: En tant que consultants externes, nous prenons beaucoup de références. Notre rôle est d’assurer la qualité des profils proposés. C’est donc notre responsabilité d’obtenir un maximum d’informations pour garantir cette qualité.

LC: En plus d’accéder à son réseau, l’intérêt de payer un chasseur de tête est d’obtenir ces prises de référence. Si c’est un recruteur externe qui les prend, elles seront de meilleure qualité.

Que dit la recherche académique pour augmenter la qualité des recrutements?

AB: Au niveau scientifique, le recrutement est un processus de réduction des risques. Vous commencez avec un pool de candidats dont vous ne connaissez pas bien la teneur et vous allez ensuite trier les gens pour réduire le pool, tout en essayant de garder le maximum de personnes qualifiées. Utiliser des outils validés scientifiquement, faire appel à des professionnels du recrutement, bien formés, avec un certain bagage et une bonne connaissance des outils sont des moyens de réduire le risque. Ensuite vous allez vous demander si vous iriez manger avec lui ou elle, si la personne correspond à la culture ou à tel ou tel directeur. Cette intuition du recruteur peut être utile, mais vous diminuez sensiblement les risques de choisir la mauvaise personne si vous avez bien fait la sélection en amont.

SB: J’appelle ça de la chasse au papillon.

AB: Un papillon qu’il faudra ensuite épingler (sourire).

Les intervenants

Leila Claivaz est Head of Talent Acquisition & Talent Development chez Audemars Piguet depuis 2023.

Serge Ballesteros est recruteur et expert RH depuis 30 ans. Il est aussi formateur d’adultes en recrutement, RH et management et personne de confiance. Lien: grh-conseils.ch

Nathalie Brodard est entrepreneure, fondatrice de Brodard Excecutive Search (en 2009) et de Brodiance (en 2015, conseils stratégiques en changement organisationnel).

Adrian Bangerter est professeur de psychologie du travail à l’Université de Neuchâtel depuis 2003. Il est spécialiste du recrutement (entretiens, évaluations, IA dans le recrutement).

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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