Le recrutement sans CV priorise les compétences et le potentiel
Dans une ère où l'innovation façonne le paysage professionnel, certains responsables RH s'aventurent au-delà des sentiers battus pour explorer les avantages du recrutement sans CV.

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En analysant l’évolution du processus de recrutement, il est évident que le CV traditionnel, ancré dans le passé professionnel du candidat, ne suffit plus à anticiper les besoins futurs. L’émergence du recrutement sans CV témoigne d’une approche novatrice, axée sur l’évaluation des compétences, du potentiel et des aspirations futures des candidats. Cette transition marque un virage vers une méthode plus dynamique, mettant l’accent sur le devenir et le futur professionnel plutôt que sur les réalisations passées. Cette approche offre une vision plus complète et prospective, permettant aux RH d’identifier les talents adaptés aux défis à venir.
Alors au cœur de cette exploration audacieuse se pose une question cruciale: le CV, pilier immuable du recrutement, a-t-il encore sa place dans une ère où la diversité des talents et des parcours professionnels est à l’honneur? C’est dans cette optique que nous plongeons dans l’univers du recrutement sans CV, un terrain de jeu propice à l’innovation.
Les limites du CV traditionnel
Le sociologue Pierre Bourdieu et sa théorie des champs (1) offrent un éclairage critique sur les biais sociaux présents dans les critères de sélection traditionnels. Le recrutement sans CV, en éliminant ces filtres implicites et biais cognitifs conscients et inconscients, propose une approche plus équitable et orientée vers le potentiel réel.
L’utilisation traditionnelle du CV présente plusieurs inconvénients dans le processus de recrutement. Les CV conventionnels, avec leur structure standard, conduisent à des candidatures similaires. Certains critères spécifiques peuvent être limitants, excluant des candidats qualifiés, mais moins expérimentés. Les CV fournissent souvent des informations partielles, ne reflétant pas pleinement les talents et qualités humaines. La subjectivité dans l’interprétation des CV, influencée par des préjugés, est un risque potentiel. L’évaluation des compétences non techniques, comme la créativité, est souvent négligée. Les CV deviennent rapidement obsolètes dans un monde professionnel en évolution constante, et le processus de tri peut être chronophage pour les recruteurs, entraînant des retards. De plus, le manque de contexte rend difficile la compréhension de l’application des compétences du candidat dans des situations réelles.
Dès lors le CV traditionnel, sous le regard scrutateur de la théorie des coûts de transaction d’Oliver Williamson (2), révèle ses failles. Les asymétries d’information générées peuvent créer des inefficacités dans le processus de recrutement, un constat qui appelle à une remise en question fondamentale. Quid de l’ethnocentrisme? Quid du fameux 4ème S le savoir évoluer/devenir?
Trois avantages du recrutement sans CV
- Évaluation basée sur les compétences: des entreprises pionnières comme Google et Spotify témoignent du succès de l’évaluation basée sur les compétences réelles et surtout les soft skills des candidats.
- Méritocratie redéfinie: en se basant sur les réalisations tangibles plutôt que sur une mise en scène du parcours professionnel, le recrutement sans CV réinvente la méritocratie,
- Économie de l’attention: les équipes RH, libérées de la surcharge d’informations des CV, peuvent se concentrer sur des interactions significatives, concrétisant ainsi la théorie d’Herbert Simon (3) sur l’économie de l’attention.
Image employeur et responsabilité sociale
Adopter le recrutement sans CV ne se limite pas à une révolution opérationnelle, c’est aussi une stratégie gagnante pour l’image employeur et la RSE (responsabilité sociale de l’entreprise). En ouvrant les portes à des profils non linéaires, en favorisant la réinsertion professionnelle et en valorisant les qualités relationnelles, les entreprises positionnent leur engagement envers la diversité et la créativité au cœur de leur culture.
Notons que pour remplacer le filtrage initial basé sur le CV traditionnel à travers de nombreuses candidatures reçues, il s’agit de mettre en place une autre sélection objectivée, par exemple en utilisant le CV vidéo ou des algorithmes évaluant les soft skills.
Plusieurs méthodes d’évaluation
Dès lors, au-delà des avantages évoqués du recrutement sans CV, d’autres alternatives complémentaires émergent. Les méthodes d’évaluation comportementale basées sur des KBI (Key Behavior Indicators) ou encore les entretiens basés sur les compétences/assessments inspirés par la méthodologie de STAR (Situation, Tâche, Action, Résultat), offrent une vision tangible des réalisations passées des candidats. Cette approche, adoptée par des entreprises telles qu’Amazon, permet d’évaluer de manière approfondie la façon dont les compétences ont été mises en pratique dans des situations professionnelles réelles. On peut aussi orienter le recrutement, en fonction des métiers et secteurs sur un portfolio en ligne, une présentation vidéo...
Tous ces éléments représentent autant d’approches à considérer en tandem avec le recrutement sans CV, offrant une palette riche pour la sélection des talents. Précisons que l’analyse comportementale se distingue par sa capacité à dévoiler les traits de personnalité et la compatibilité culturelle des candidats limitant donc drastiquement les probabilités de mismatching et donc réduisant les coûts liés à un «mauvais» recrutement.
Une révolution nécessaire
Le recrutement sans CV se présente comme une révolution nécessaire pour les RH en quête de talents. En adoptant cette approche, les entreprises ne se contentent pas de moderniser leurs processus, elles façonnent une nouvelle ère du recrutement, ancrée dans l’équité, la diversité et l’innovation.
(1) La théorie de Pierre Bourdieu sur les champs sociaux met en lumière que le recrutement sans CV peut contribuer à atténuer les biais liés au capital culturel en éliminant certains critères traditionnels, favorisant ainsi une évaluation plus équitable des compétences et des talents des candidats.
(2) La théorie des coûts de transaction d’Oliver Williamson suggère que les entreprises choisissent entre différentes formes d’organisation en évaluant les coûts liés à la coordination des transactions sur le marché par rapport à l’intégration verticale. En lien avec le recrutement sans CV, cela implique qu’en évitant les formalités liées à l’évaluation traditionnelle basée sur les CV, les entreprises peuvent réduire les coûts de transaction en évaluant directement les compétences des candidats, ce qui peut être plus efficace et pertinent pour les besoins spécifiques de l’entreprise.
(3) La théorie d’Herbert Simon sur l’économie de l’attention explique que dans un contexte de surcharge d’informations, le recrutement sans CV permet de minimiser la charge cognitive en se concentrant sur des critères spécifiques, simplifiant ainsi le processus d’évaluation des candidats.