Les deux priorités RH lors d'une transformation: former et ancrer
Le changement est partout et de plus en plus rapide. Transformer une organisation reste pourtant quelque chose de très difficile à réaliser. Quelles sont les étapes principales d'un changement et quel est le rôle de la fonction RH? Analyse.

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Aujourd’hui, les transformations se multiplient et s’accélèrent. Dans une économie de moins en moins prévisible, la capacité d’adaptation des entreprises devient une question de vie ou de mort. Les changements sont multiples et de taille variée. Déménagement, lancement d’un nouveau produit, automatisation d’une chaîne de production, impact de l’intelligence artificielle sur les métiers ou nouvelle stratégique... plus le changement est grand, plus il va transformer l’organisation. La société américaine Western Union a fait fortune avec l’envoi de télégrammes, elle est devenue aujourd’hui un service de transfert d’argent. La Poste Suisse ferme ses bureaux postaux et devient un spécialiste des communications digitales sécurisées. Après avoir construit sa renommée avec les films photographiques, le géant Kodak fait faillite en 2012 et renaît de ses cendres dans le domaine de l’impression pour l’industrie graphique. Le changement est un processus désagréable. Selon McKinsey, 70% des changements en entreprise échouent. Voici les principales étapes de tout changement réussi, avec un focus sur le rôle des RH.
Complaisance
Le poison des entreprises est la complaisance. Considéré comme le père spirituel du changement en organisation, John Kotter explique dans son livre de 1997 (Leading Change, éd. Harvard Business Review Press, 2012 (1ère éd. 1996), 195 pages) que c’est ce sentiment que tout va bien qui empêche les organisations de changer. Des dirigeants trop confiants, un environnement de travail luxueux, peu de feedbacks critiques venant des clients/ fournisseurs/partenaires, une culture du travail qui proscrit les conflits et les avis contraires sont les signes de ce sentiment de complaisance.
Vaches sacrées
Cette inertie face aux changements peut être analysée par le prisme des vaches sacrées. Robert Kriegel et David Brandt, deux gourous américains du changement organisationnel, expliquent dans leur bestseller (Sacred Cows Make The Best Burgers, éd. Grand Central Publishing, 2011 (1ère éd. 1997), 315 pages) qu’une vache sacrée est une manière de faire, une croyance, une pratique tellement ancrée dans la culture qu’elle n’est plus remise plus en question. Un exemple? La vitesse. «Il faut faire vite, je n’ai pas le temps, je dois atteindre mes objectifs, répondre à mes mails, finir un rapport...» Mais travailler dans l’urgence et la précipitation nuit à la qualité et à l’innovation. Les auteurs conseillent aux dirigeants de s’arrêter au moins deux heures par semaine pour réfléchir à la stratégie, aux évolutions du marché et à la valeur ajoutée de l’or- ganisation...
Direction et communication
Jeff Hiatt, auteur de la méthode ADKAR sur la conduite du changement (A Model For Change In Business, Government And Our Community, éd. Prosci Inc., 2006, 146 pages) conseille lui aussi de commencer par cette prise de conscience du besoin de changer (Awareness en anglais). Si 20 à 30% des collaborateurs savent que la situation est critique (selon les chiffres avancés par Kotter), l’enjeu est d’ouvrir les yeux à l’ensemble du personnel. Selon Jeff Hiatt, cette prise de conscience doit répondre aux questions suivantes: «Pourquoi le changement est nécessaire aujourd’hui? Pourquoi ne pouvons-nous pas continuer à faire comme avant? Que se passera-t-il si rien ne change?» Cette première étape doit impérativement être portée par la direction générale. Sans un sponsor puissant, le message ne sera pas crédible. À eux de clarifier et de communiquer la vision. Cette communication implique des messages simples et répétés jusqu’à épuisement. Selon Hiatt, un message doit être répété cinq à sept fois pour être intégré.
Créer un narratif
Ce sentiment d’urgence sera aussi facilité par une culture qui favorise les échanges critiques et la transparence. Même si les chiffres sont bons, comment sont réellement perçus nos services? Le contexte socio-économique change constamment: nouvelles technologies, évolutions démographiques ou changements géopolitiques. Le but n’est pas de créer une culture toxique ou de terroriser les individus, mais de stimuler l’agilité personnelle, de challenger certaines pratiques et d’ajuster la stratégie aux données du marché et aux recherches scientifiques. Cette conscience du changement doit aussi être déclinée de manière plus fine sur chaque métier et fonction de l’entre- prise. Un individu doit pouvoir se projeter dans ce futur incertain. Le rôle des RH est de créer un narratif positif afin d’éviter que les peurs et les rumeurs ne remplissent les blancs. Hiatt montre bien la différence entre la conscience du besoin de changer et la motivation intrinsèque nécessaire à chaque individu pour se mettre en mouvement.
Formation et mises en situation
Une fois cette dynamique engagée, il s’agit de donner les ressources aux équipes afin qu’elles soient en mesure de changer. Cette étape concerne les RH, les responsables formation et les leaders d’équipe. D’une part, il faudra former les équipes aux nouvelles compétences et comportements, de l’autre assurer le transfert du savoir-faire dans la pratique. Les recherches en pédagogie ont montré que ce transfert est d’environ 30%. Former les équipes implique de clarifier les rôles et les responsabilités liées à la nouvelle culture et de donner un maximum d’informations sur les nouveaux process, outils et manières de travailler. Aujourd’hui, la conception d’une formation intègre des éléments en présentiel, du e-learning, des mises en situation et des évaluations. Jeff Hiatt montre aussi que les freins à l’apprentissage peuvent être physiques, psychologiques, intellectuels, temporels (pas assez de temps disponible) ou dus au manque de ressources pédagogiques. Le mentorat, le coaching et les essais pilote sont de bons moyens d’avancer.
Ancrer le changement dans une culture
La dernière étape est souvent sous-estimée. Une fois les nouveaux comportements acquis, il s’agit d’ancrer ces pratiques dans la culture. Comme l’a écrit le sociologue du travail François Dupuy, les valeurs et la culture devraient être le reflet des comportements observés sur le terrain. Et non l’inverse. Là aussi, le rôle des RH sera déterminant. La culture d’entreprise est quelque chose de complexe et de difficile à saisir. Elle est le reflet de manières de faire et de penser. Elle concerne autant les sujets discutés autour de la machine à café que les tabous, l’ambiance et la manière de s’habiller. Le rôle des RH est d’observer ces nouvelles pratiques et de les consolider dans des valeurs et des processus (qualité du service, manière de collaborer avec les clients, identité de l’organisation). Une culture oriente ensuite les recrutements et peut générer des démissions.
Renforcer et célébrer
Cette culture a aussi besoin de rituels et de moments de célébration. Le but est de montrer la réalité concrète du changement (hausse du chiffre d’affaires, de la satisfaction des clients, de la qualité des produits). Le dispositif d’évaluation sera aussi adapté à cette nouvelle culture: ancrer les nouvelles pratiques dans les objectifs annuels et le système de rémunération. Il s’agit aussi de montrer que les effets négatifs redoutés ne sont pas réalisés ou ont été corrigés.
Entreprise émergente
Cette façon d’aborder le changement de manière linéaire et par étapes est progressivement en train d’être remplacée par une approche plus systémique. Kotter consacre un chapitre à ces entreprises émergentes, conçues pour le changement permanent. Ce sont des organisations avec moins de couches hiérarchiques, plus d’autonomie accordée aux acteurs, où la performance collective prime sur la contribution individuelle, des organisations plus ouvertes sur l’extérieur, avec une culture basée sur la confiance et la sécurité psychologique. Ce sont des entreprises apprenantes telles que décrites par Peter Senge (La cinquième discipline, 1990) et Philippe Carré (Pourquoi et comment les adultes apprennent, 2020). La posture du manager change, passant du petit chef contrôlant à celle du coach serviteur. Tous les auteurs s’accordent enfin sur la nécessité de cultiver un esprit positif. La peur du changement aura tendance à figer les individus. Elle peut être une promesse d’un monde meilleur où le travail, même augmenté par la technologie, sera plus agréable.