Portrait

Ni brute, ni soumis

Jean-Charles Bruttomesso est le DRH de Migros Genève depuis 13 ans. Enthousiaste comme au premier jour, il livre ici sa vision du métier et les secrets de cette longévité. 

Il est le Clint Eastwood de la communauté RH de Suisse romande. Posture haute, sec sur jambe, le regard ténébreux vers le monde et la grâce du juste une fois passé la carapace. DRH de Migros Genève depuis 13 ans, Jean-Charles Bruttomesso a réussi à durer là où tant d’autres se sont essoufflés, sous les tensions contradictoires du métier.

On le retrouve au siège administratif du plus gros employeur privé de Genève, à la Praille. La poignée de main généreuse, il propose un entretien à la cafétéria du groupe. En chemin, il ramasse des papiers volants au sol, salue des collaborateurs affairés et nous glisse: «Quand je suis arrivé, venant du milieu feutré et luxurieux de la banque, je trouvais ces locaux un peu vétustes. Mais à la Migros, on vous apprend à réfléchir à l’utilité de chaque franc investi. On préfère les employer pour embellir nos magasins plutôt que dans les coulisses de l’organisation.» 

Bienvenue dans la culture grand M. Des produits de qualité à petit prix. Il en parle avec fierté, authenticité et un goût prononcé pour la dimension humaine de cette success story à la sauce helvétique. Migros Genève est une vraie institution. Sur les 3700 collaborateurs, 55 pour cent de femmes. Plus de 90 nationalités. Une filiale en France, qui emploie 800 collaborateurs. Et plus de 550 personnes actives pour le pour cent culturel (spectacles, musique, théâtre, écoles club). 

Le site de la Praille abrite la plus grande surface commerciale de Genève (le M-Park), le centre administratif et le centre d’exploitation, avec plusieurs voies de chemins de fer et des dizaines de quais d’embarquement d’où partent chaque jour des tonnes de marchandises fraîches vers les enseignes Migros de Genève et de France voisine. «Nous abritons aussi un centre de tri et d’emballage papier et plusieurs de nos bâtiments sont équipés de photovoltaïques», complète Jean-Charles Bruttomesso. Le site accueille également une cuisine centrale, notamment pour les cantines scolaires, le plus grand service traiteur de Genève et la distribution multimédia (musiques, films, DVD) pour la Suisse romande. Migros Genève gère enfin un réseau de bureaux de change sur la zone frontalière. L’ensemble des activités génère un chiffre d’affaires annuel de 1,2 milliard de francs, dont 150 millions de francs pour la France voisine. 

 

Une politique RH récompensée par plusieurs prix d’entreprise

 
Lui dirige les départements de Ressources Humaines et Culture. Régulièrement primée pour leurs actions (Prix de l’égalité professionnelle en 2008; Friendly Work Space 2010; 1er rang dans la catégorie Grandes entreprises au dernier classement Bilan et le prix Valida 2010 pour son dispositif de reconnaissance et validation des acquis), l’équipe RH de Migros Genève (28 personnes) est devenue le benchmark national en termes de gestion RH. 
 
Parmi les prestations RH du géant orange: en complément du programme de formation continue, chaque collaborateur bénéficie d’un chèque formation de 1000 francs par année. La société abrite également 30 personnes handicapées, en collaboration avec la Société genevoise pour l’intégration professionnelle d’adolescents et d’adultes (SGIPA). Et ces efforts de responsabilité sociale ne se font pas au détriment des impératifs du business. 
 
Comme ailleurs, Migros Genève souffre de la faiblesse de l’euro, qui incite la clientèle à se ravitailler en France voisine. La deuxième contrainte opérationnelle est la baisse générale des prix, qui s’est accélérée ces dernières années à cause de la forte concurrence dans le segment du commerce de détail. Pour faire face, Jean-Charles Bruttomesso augmente la productivité. «Nous essayons de baisser notre taux d’absentéisme (4 pour cent). Chaque dixième de baisse revient à une économie de 150 000 francs. Sans parler des problèmes de désorganisation dans les magasins liés à ces absences.»
 
Le deuxième levier est d’accélérer l’informatisation de la gestion administrative. «Nous recevons entre 8000 et 10000 candidatures par année. Avec cela, nous devons gérer 4000 dossiers, ce qui représente près de 210000 pièces. Ces données sont déjà sous forme éléctronique. Cela nous apporte plus de qualité, de traçabilité et de sécurité», assure le DRH. Cette gestion informatisée diminue aussi la fragmentation des tâches, poursuit-il. 
 
«Nous avons davantages de gens qui effectuent des tâches de A à Z». Troisième cheval de bataille: la formation continue et professionnelle. En plus des chèques formation, Migros Genève forme 140 apprentis par année. Un chiffre qui devrait augmenter à 200 l’année prochaine.
 
 

«S’adapter aux cycles de croissance et de tassement» 

 
Cette abondance de prestations RH ne s’est pas réalisée en un jour. Jean-Charles Bruttomesso est dans sa 12ème année de maison… Secret de cette longévité? «La GRH n’est pas un long fleuve tranquille. Pour durer, il faut être un peu cornélien. L’entreprise alterne les cycles de croissance et de tassement. La stratégie RH doit s’adapter à cette évolution et constamment naviguer entre un axe économique et un axe social. Quand les affaires sont au beau fixe, nous développons nos prestations RH. Durant les périodes difficiles – comme aujourd’hui – on se concentre sur la réduction des coûts et la productivité. Et il ne faut jamais perdre de vue la dimension humaine de cette aventure.» 
 
Parlons de sa posture. Il siège au comité de direction depuis 12 ans. «Je conseille d’être attentif à deux aspects fondamentaux: 1. Quel impact sur les RH aura une décision du comité exécutif? Et 2. Comment notre département RH peut-il intervenir sur l’évolution globale des affaires?» La posture implique du courage. «J’estime aussi que nous devons être des facilitateurs. Mais aussi être capables de contrecarrer une décision commerciale. Cela implique une bonne connaissance générale de nos affaires.» Jean-Charles Bruttomesso veille à ne pas laisser passer deux séances de direction sans aborder un sujet RH. 
 
Son réseau interne? «Mon interlocuteur numéro 1 est Guy Vibourel, le directeur général. Et j’ai d’excellentes relations avec tous mes collègues de la direction. Le secret est de leur consacrer du temps.» 
 
Très actif au sein de l’association HR Genève, Jean-Charles Bruttomesso est un régulier des tables rondes et autres conférences RH de Suisse romande. Avec toujours des bonnes questions à poser avant la verrée. Le président d’HR Genève, Jérémy Annen, n’a que des louanges à son égard: «Fidèle à ses amis et à ses idées, à l’écoute et écouté, forçant le respect par ses compétences et le respect qu’il met dans ses rapports aux autres.» 
 
Jean-Charles Bruttomesso possède aussi une double culture française et suisse et de ce fait est capable d’avoir une vision «supranationale» des problématiques de management et de RH. «Ceci lui permet d’être sensible aux questions de culture «frontalière» propre à Genève», poursuit Jérémy Annen. 
 
 

«Il faut continuellement se former et refaire ses preuves» 

 
Né à Annemasse en France voisine, deuxième de la fratrie, il étudie les techniques de commercialisation à l’Université de Chambéry. Son père travaille chez le spécialiste des encres de sécurité Sicpa. «Il me parlait beaucoup de son DRH. C’est peut-être là qu’est née ma passion du métier», sourit-il. Mais c’est d’abord dans la banque, au Crédit Agricole, de Lyon puis d’Annecy qu’il démarre sa carrière. 
 
En 1991, il repère une annonce dans le quotidien La Suisse pour un poste de responsable de la formation des cadres à Migros Genève. «Il faut dire aussi que je fréquentais une femme domiciliée en Suisse», glisse-t-il. De responsable de la formation, il reprend successivement la direction du département culturel puis les ressources humaines, au départ de Claude Deffaugt, qui dirige aujourd’hui Migros France. 
 
Devant cette belle trajectoire, Jean-Charles Bruttomesso préfère retenir la chance qu’il a eue d’être bien entouré. «Mes supérieurs m’ont repéré et m’ont aidé à me mettre en selle. Je pense aussi avoir été au bon endroit au bon moment. Et il faut continuellement se former et refaire ses preuves.» 
 
Il insiste aussi sur l’importance d’avoir un bon équilibre de vie, entre le personnel, le travail et la vie de famille. Père de trois enfants, issus de deux mariages, il assure aujourd’hui s’investir davantage au ménage. Curieux de tout, il éclate son temps libre entre la montagne, le vélo, la minéralogie, la photographie et la peinture. Et le boulot, il adore: «J’ai la chance de venir au travail tous les matins avec enthousiasme. J’ai eu des propositions pour évoluer dans d’autres environnements, mais je n’ai aucun regret de n’avoir pas cédé à l’appel des sirènes. J’ai tous les jours des possibilités d’être créatif.»
 
 

Jean-Charles Bruttomesso en 20 secondes 

Un plaisir? Cheminer en ville. 
Une corvée? Le repassage. Je repasse toutes mes chemises. 
Un livre? Blandine Le Callet: Une pièce montée. 
Un plat? Les pâtes sous toutes leurs formes. 
Une boisson? Le Coca-Cola. 
Un film? Danse avec les loups, de Kevin Costner. 
Le meilleur conseil reçu? Regarde toujours un pas plus loin. Il vient de mon directeur marketing quand j’étais dans la banque.

 

 

 

Bio express

 

1955 Naissance à Annemasse (France). 
1991 Dirige la formation continue Migros Genève 
1999 DRH Migros Genève

 

 

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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