«Plus informelles, les pratiques RH en PME, peuvent avoir d'excellents résultats»
Quelles sont les priorités RH d'une patronne de PME? Quel soutien RH apprécie-t-elle le plus? Plongeon dans la réalité concrètes de deux PME valaisannes, avec le regard croisé de quatre experts. Mots-clés: proximité, polyvalence et pénurie.

Les intervenants (de gauche à droite):
Laurence Stolf-Massy est responsable RH aux Remontées mécaniques de Grimentz-Zinal
Ludovic Bruchez est le chef du service RH à la Ville de Sion
Laurence Quennoz est propriétaire et directrice de l’entreprise de construction Evequoz
Xavier Salamin est professeur en gestion des ressources humaines à la HES-SO Valais-Wallis
Photo: Pierre-Yves Massot / realeyes.ch pour HR Today
Quelles sont les priorités RH d’une PME?
Laurence Quennoz: Dans mon entreprise, où je suis à la fois propriétaire et patronne, la priorité de ma responsable RH est de verser les salaires et de veiller aux prescriptions légales en lien avec la convention collective de travail.
Une autre priorité?
LQ: Toutes les questions de santé et sécurité. Dans une entreprise de construction, la protection de la santé est prioritaire. Ma responsable RH doit donc s’assurer que toutes les formations sont à jour.
Une troisième priorité?
LQ: La gestion des absences. Je dois être au courant des cas de maladie, même courtes, et des accidents afin que je puisse prendre les bonnes décisions dans la planification des chantiers.
Et quelles sont vos impulsions RH?
LQ: Dans une entreprise familiale, certaines valeurs nous tiennent à cœur: la proximité, la formation ou la sécurité par exemple. Mon rôle est de m’assurer que ces valeurs sont bien vécues au quotidien.
Un exemple?
LQ: La proximité est importante chez nous. Si un ouvrier demande à me voir, je vais prendre le temps pour l’accueillir.
Et aux remontées mécaniques de Grimentz-Zinal (RMGZ)?
Laurence Stolf-Massy: Les priorités sont les mêmes: le paiement des salaires, la gestion des absences et la formation aux enjeux de santé et sécurité. J’ajouterais peut-être la culture d’entreprise. Avec 330 collaborateurs·trices, c’est parfois compliqué de maintenir l’esprit familial. Mais cette proximité avec nos équipes est importante. C’est une question de fidélisation. La majeure partie de nos collaborateurs sont des saisonniers qui reviennent année après année. Comme la saison hivernale est courte, de décembre à avril, ils doivent pouvoir être opérationnels rapidement. C’est donc beaucoup plus simple si vous travaillez avec des gens qui connaissent l’entreprise et le job.
Comment décririez-vous cette culture familiale?
LSM: Nos responsables ainsi que notre directeur sont très présents sur le terrain. Notre activité se déploie sur 19 lieux de service, sur deux villages, Grimentz et Zinal, et dans plusieurs secteurs d’activité: hôtellerie, restauration, exploitation technique et bureaux administratifs. Ces déplacements fréquents, notamment du directeur, sont donc importants. Cette culture se cultive aussi par les managers dans les équipes.
Existe-t-il des collaborations plus étroites entre entreprises de construction et sociétés de remontées mécaniques pour assurer la transition entre les saisons?
LQ: Oui, nous cultivons ces liens. Cela dit, avec le réchauffement climatique, la saison du bâtiment commence en janvier déjà.
LSM: Oui tout à fait. La situation est un peu différente en montagne où les chantiers commencent plus tard. En principe, nos activités de remontées mécaniques se terminent aux alentours du 20 avril et nos collaborateurs sont sur les chantiers dès le 21. Cette collaboration avec les entreprises de construction nous permet aussi de renforcer la fidélité. En 2024, sur une population de 110 travailleurs saisonniers, nous avons seulement dû renouveler trois postes. Dans les régions de montagne, assurer cette transition entre l’hiver et l’été est aussi une responsabilité sociale. Cela fait vivre des familles, les écoles et le centre médical par exemple.
En tant que président d’HR Valais, quel regard portez-vous sur ces priorités RH des PME?
Ludovic Bruchez: Pendant une table ronde que j’ai animée récemment dans le cadre du projet Valais4You (une plateforme qui vise à faciliter l’intégration de travailleurs non-Valaisans en Valais, ndlr), Thomas Birbaum, secrétaire général de l’Union des indépendants, assurait que les RH sont la principale préoccupation des PME. Les RH deviennent de plus en plus compliquées à gérer. Aussi en raison de la pénurie de main-d’œuvre. C’est devenu plus difficile de trouver des compétences. Certains métiers sont hyper concurrentiels et parfois les candidats partent au plus offrant.
LQ: Sur ces questions de recrutement, la responsabilité des RH est de s’assurer que les choses soient faites correctement, mais le lien avec les candidats et les enjeux de fidélisation sont l’affaire des managers ou du parton. Ce sont eux qui ont la connaissance du métier.
LB: Oui tout à fait. Ce n’est pas forcément le responsable RH qui recrute, mais je ressens que ces préoccupations RH augmentent. C’est devenu plus difficile de retenir les collaborateurs·trices. Les nouvelles générations ont moins d’attaches avec le monde de l’entreprise. La dimension culturelle: l’esprit familial d’une entreprise, que les personnes s’y sentent bien, est devenue une priorité.
LQ: Cela arrive aussi que les personnes restent trop longtemps (sourire). Un peu de changement, c’est aussi bon parfois…
Qu’entendez-vous par: «Les RH deviennent de plus en plus compliquées à gérer»?
LB: En termes de gestion, je pense à l’absentéisme, à la fragilité qui augmente dans les équipes, comme s’il y avait moins de résistance au stress et à la pression. Je ne stigmatise personne, mais j’ai l’impression que les arrêts maladie y relatifs sont plus fréquents. La relation contractuelle entre l’entreprise et l’individu est devenue plus compliquée.
LQ: Et il faut faire attention à comment vous dites les choses. D’ailleurs, le fait d’être une femme dans le milieu de la construction est un atout. Dans la communication de ces situations délicates, l’empathie et la finesse sont un avantage.
Xavier Salamin: Tous ces éléments font écho au modèle RECIPE, que l’on retrouve dans la littérature scientifique. Ce modèle souligne les caractéristiques des PME qui influencent les pratiques et les priorités RH.
Détaillez-nous ce modèle…
XS: Le «R» exprime la contrainte en termes de ressources. Sur le plan RH, les PME n’ont souvent pas de spécialistes RH, de logiciels ou de plateformes RH sophistiqués. Le «E» évoque la vulnérabilité à l’environnement économique et social. Les PME sont très dépendantes du contexte dans lequel elles se trouvent. Cela impacte aussi les pratiques RH qui sont souvent plus réactives, plus émergentes et plus organiques. Le «C» désigne le contrôle et le pouvoir qui sont souvent concentrés dans les mains d’une personne, voire un petit groupe de personnes. En clair, l’expérience employé dans une PME sera très dépendante du style de leadership du dirigeant. Le «I» signifie l’informalité. Les pratiques RH sont souvent plus informelles, ce qui implique plus de flexibilité, mais pose aussi parfois des défis en termes de cohérence ou de gestion de l’équité. Le «P» désigne la proximité. Cela a été mentionné plusieurs fois durant nos échanges. La proximité entre les employés, mais aussi avec les dirigeants, ce qui peut amener beaucoup de bénéfices, mais peut aussi faire l’objet de disruptions. Si l’entreprise grandit, le leadership va changer. Enfin le «E» exprime l’expérience employé. Dans une PME, celle-ci sera souvent beaucoup plus polyvalente, et avec un lien plus direct entre le travail et le produit final.
Diriez-vous que l’expérience employé est meilleure en PME?
XS: Pas forcément meilleure. Tout dépend de ce que recherche l’employé. S’il ou elle cherche à évoluer dans la hiérarchie, ce sera plus compliqué dans une petite PME.
Quelles sont les tâches RH les plus difficiles en PME?
LSM: Chez nous, c’est clairement le recrutement. Géographiquement, nous sommes situés au paradis, mais c’est aussi au bout du monde. Le défi est donc de faire monter les gens jusqu’à Grimentz ou à Zinal (sourire). Sur des profils saisonniers, c’est plus simple car cela implique de venir travailler pendant quelques mois en hiver, avec tous les avantages proposés par une station de ski. Mais pour les personnes que nous engageons à l’année, c’est plus compliqué. Par exemple, les enneigeurs techniques et les mécaniciens sur dameuse sont déjà plus difficiles à trouver en temps normal. Avec la distance de la plaine, c’est d’autant plus un challenge.
Comment faites-vous?
LSM: Nous misons sur l’expérience candidat, avec un gros travail sur notre marque employeur. Nous mettons en avant nos atouts: une ambiance familiale, un cadre de vie exceptionnel, de la formation et des possibilités d’évolution de carrière notamment.
Et chez Evequoz SA, quels sont vos défis RH les plus difficiles?
LQ: La pénurie de personnel et la fidélisation dans ce contexte où les attentes envers l’employeur changent. Nous commençons par exemple à parler de temps partiels, ce qui est difficilement compatible avec le travail en équipe sur les chantiers.
Avez-vous des exemples de temps partiels qui fonctionnent?
LQ: Donner un congé les vendredis après-midi est une solution. Nous avons aussi fait une bonne expérience avec un conducteur de chantier qui a choisi de travailler à 80%. Cela dit, les résistances au temps partiel viennent surtout des collègues. C’est encore très mal vu dans le milieu de la construction de réduire son temps de travail. Dans l’encadrement technique, c’est même quasiment impossible. Cela dit, récemment, l’enfant d’un de nos employés est tombé malade et nous avons accordé un temps partiel pour cette raison. Les mentalités sont donc en train de changer.
Les autres défis RH?
LQ: Le paiement des salaires et les plans de formation. Et quelles sont vos responsabilités en tant que patronne de PME?
LQ: Les finances, les relations client, la qualité, aller chercher le boulot et voir nos cadres régulièrement. Ils aiment savoir pour qui ils travaillent, ce contact régulier avec eux est important. Mais cela prend beaucoup de temps.
LSM: Oui, ce contact avec le terrain occupe une grande partie de notre temps de travail.
LB: Nous avons les mêmes défis à la Ville de Sion avec nos employés techniques. Récemment, nous avons engagé la première femme dans une de nos équipes, historiquement entièrement masculine. Cela a nécessité des aménagements, notamment en proposant des vestiaires et des douches séparés. Mais les environnements de travail changent. Une prochaine étape sera de donner la possibilité du temps partiel pour certains métiers. Nous l’avons déjà dans certaines activités techniques, mais pas encore partout. Cela offre beaucoup plus de flexibilité dans le temps de travail. Nous travaillons aussi sur des projets de réorganisation du fonctionnement de certaines sections, avec des équipes plus petites et plus auto- nomes. Le but à terme est de leur offrir plus de flexibilité.
Comment faites-vous pour que ces dossiers avancent?
LB: J’ai la chance de pouvoir travailler directement avec le président de la ville, Philippe Varone, qui me challenge aussi parfois. Les ressources humaines sont également devenues un service à part entière, ce qui augmente notre impact sur l’administration de la ville.
LSM: J’ai aussi besoin du soutien de ma direction générale dans mes projets RH. Ce sont des sujets complexes à mettre en œuvre et sans ce soutien de la direction, ce serait impossible.
LQ: Tout à fait. Le seul recrutement où je me suis toujours impliquée depuis le début, c’est celui de ma RH. Salomé Beuchat (responsable RH chez Evequoz SA, ndlr) est mon binôme, c’est elle qui transmet mes valeurs auprès du personnel.
Xavier Salamin, votre avis sur ces défis RH les plus compliqués?
XS: Au-delà des défis déjà mentionnés, je vois un défi à moyen terme: les départs massifs à la retraite au cours des prochaines années. Pour une PME cela peut représenter une perte de connaissances énorme... Comment garder cette connaissance et ce savoir organisationnel dans un contexte de vieillissement de la population active? C’est un vrai défi et l’économie n’a pas encore réellement pris la mesure de ce phénomène.
Un autre challenge RH?
XS: La gestion de la succession du patron ou de la patronne. C’est un énorme défi en Suisse et au niveau international. De nombreux patrons de PME peinent à gérer leur succession.
LB: Oui absolument, d’autant plus que les dates des départs à la retraite sont connus. Et c’est aussi un enjeu dans les administrations publiques. Nous perdons régulièrement des compétences-clés en raison de départs à la retraite mal ou pas assez planifiés. Cela concerne surtout certains postes-clés. Nous avons par exemple engagé récemment une personne pour assurer la suppléance du gestionnaire des installations sportives de la ville.
LQ: Pour nous la difficulté est économique. J’adorerais pouvoir engager un suppléant pour chaque poste stratégique, mais ce n’est pas possible financièrement.
LB: Cela a été un long processus chez nous également. Il a fallu convaincre le législatif de nous accorder ce budget en raison des risques que cela représentait. Mais ces anticipations, ce passage de compétences et cette préparation de la succession sont encore trop peu réalisés aujourd’hui dans les PME. C’est une réalité.
Quels sont vos partenaires externes les plus appréciés?
LSM: Mes collègues RH des autres stations. Dans ce domaine, nous ne sommes pas vraiment concurrents et nous avons une super collaboration et beaucoup de partages. Nous nous appelons régulièrement, nous allons manger ensemble et chaque fois que quelqu’un a un problème, il ou elle envoie un message sur notre groupe WhatsApp.
D’autres ressources externes?
LSM: Je vais régulièrement aux événements d’HR Valais. Ce réseautage est précieux.
LQ: Nous avons une veille légale et un service juridique assuré par l’association valaisanne des entrepreneurs (AVE). Je suis aussi membre de la Chambre de commerce et de l’industrie. Nous recrutons aussi avec des sociétés de travail temporaire. Ce sont des partenaires importants.
LB: Le monde RH est un monde de réseaux. Les moments d’échange après les conférences d’HR Valais sont importants. Nous essayons aussi d’organiser des conférences avec d’autres partenaires. Nous allons par exemple collaborer avec la FER Valais pour notre prochaine conférence sur le droit du travail. Nous collaborons aussi avec le CVPC (Centre Valaisan de Perfectionnement Continu), l’ARFOR (Association Romande des Formateurs), Valais4You, la Chambre valaisanne du commerce et de l’industrie ou encore avec la Caisse de compensation du Valais.
LQ: Je participe aussi à la conférence d’Adecco sur les tendances du marché. C’est important de sentir les évolutions sociétales.
LB: Au niveau de l’administration communale, nous avons aussi une conférence qui réunit deux fois par année les DRH des douze plus grandes communes du Valais romand. Nous échangeons sur des thèmes communs et durant l’année, si quelqu’un a une question, nous profitons de l’expérience des autres. Comme la demande est forte d’intégrer d’autres communes, nous avons décidé d’organiser en 2026 une journée RH des administrations publiques.
LSM: Un autre partenaire important est la HES-SO Valais-Wallis avec qui nous collaborons sur des projets d’étudiants et sur des mandats de gestion.
XS: Tout à fait. Nous collaborons beaucoup avec les PME valaisannes sur les sujets RH. Une autre illustration serait les nombreux travaux de Bachelor qui nous sont confiés par des PME.
Des exemples?
LSM: Nous avons deux travaux d’étudiants en cours dans l’option RH. Le premier sur nos valeurs d’entreprise et le second sur le ressenti interne de notre marque employeur.
XS: Nous travaillons aussi sur des mandats de prestations et des projets de recherche appliquée. Nous collaborons par exemple avec la Distillerie Morand pour les soutenir dans le développement de leur processus d’évaluation de la performance (lire aussi en page 30-31, ndlr).
LQ: J’ai mandaté la HES-SO Valais / Wallis pour calculer le prix de revient par camion dans mon entreprise.
LB: Un autre exemple sont les fiches pratiques RH pour PME, développées par HR Valais grâce à un mandat avec la HES-SO Valais / Wallis. Ces fiches sont disponibles gratuitement sur le site de HR Valais, en français, allemand et italien. Le but était de donner des conseils pratiques RH aux PME sur quelques thèmes: recrutement, droit du travail, des sujets transverse ou l’évaluation des compétences par exemple. À ce jour, ces fiches ont déjà été téléchargées plus de 5500 fois.
Quels conseils RH sont les plus appréciés par un·e patron·ne de PME?
LQ: Sur l’absentéisme court. C’est un indicateur important que ma RH me donne régulièrement. C’est toujours un signal à prendre au sérieux afin d’échanger avec la personne et d’éviter qu’une situation n’évolue en absence de longue durée.
D’autres choses?
LQ: Ma RH me donne aussi un retour du terrain. Ce sont des éléments plus informels, qui se discutent autour de la machine à café. Des enfants en difficulté, une épouse malade par exemple. C’est important d’avoir ce retour pour comprendre la réalité humaine derrière certains comportements. De votre côté?
LSM: J’essaie de sensibiliser les managers aux situations humaines derrière les indicateurs. Un autre rôle important est d’oser dire à mon patron ce que personne n’ose lui dire.
XS: Dans mon rôle de professeur de GRH, l’objectif est aussi d’amener à ces patrons de PME quelques outils accessibles. Les fiches pratiques RH sont un exemple, qui incluent des modèles applicables à certains processus tels que le recrutement. J’ai pu également soutenir le développement de l’outil «Logib Système salarial» qui permet à des petites PME de mettre en place une structure salariale simple. Nous l’avons testé avec quelques PME valaisannes qui ont perçu une réelle valeur ajoutée à ce type d’outils.
Qu’est-ce qu’un RH en PME sait mieux faire qu’un manager RH en grande organisation?
LSM: Amener des solutions avec des bouts de ficelle, ce qui demande beaucoup de créativité. Et la polyvalence.
LQ: Quand j’ai mis le poste de responsable RH au concours la dernière fois, nous avons eu de nombreux candidats qui cherchaient du sens au travail, qui voulaient créer du lien avec les gens mais qui ont eu peur de cette responsabilité. En PME, vous devez vous débrouiller seul et vous devez être là pour les gens, même parfois en dehors des heures de travail.
LB: Une spécificité est sans doute aussi la proximité. Quand je travaillais à l’État de Vaud, une organisation de 40 000 collaborateurs, ce n’était pas possible de connaître les gens personnellement.
XS: La littérature scientifique montre que c’est une erreur de penser que les PME gèrent mal leurs RH. On entend beaucoup cette critique. Comme si les bonnes pratiques en multinationales devaient être appliquées en PME. Ce n’est pas forcément le cas. Plus informelles, les pratiques RH en PME peuvent avoir d’excellents résultats.