Le rôle des valeurs en organisation

Comment une start-up et une société pharma utilisent les valeurs pour réussir

Avec des configurations, des tailles et des modèles d’affaires différents, deux sociétés lausannoises, une start-up et une PME active dans la pharma, expliquent ici comment elles recourent aux valeurs pour cimenter les équipes et atteindre les objectifs opérationnels. Avec l’analyse du philosophe Thémélis Diamantis, du Projet Socrate.

Velopass 

Le contexte Créée en 2009 à Lausanne par Lucas Girardet, la start-up Velopass a mis sur pied un réseau de vélos en libre-service à travers toute la Romandie et le Tessin. Inspiré des Vélib’ lyonnais et parisiens, ce modèle d’affaire répond à l’intérêt croissant du grand public pour la mobilité douce en milieu urbain. 

Velopass déploie deux activités principales: la vente de réseaux (vélos + infrastructures) à des collectivités publiques et aux entreprises ainsi qu’un service d’entretien, une prestation qu’elle sous-traite à des partenaires locaux. A ce jour, la société a réussi à implanter 10 réseaux en Suisse, ce qui représente un total de 900 vélos. En 2010, la start-up lausannoise a généré un chiffre d’affaires de 2,5 millions de francs, avec 10 collaborateurs. 

Dans un premier temps, c’est surtout la vente de vélos et d’infrastructures qui génère le chiffre d’affaires. Une fois le réseau établi, la start-up compte vivre sur son service d’entretien. Lucas Girardet, 34 ans, a longtemps dirigé l’association Lausanne-roule (prêts de vélos à Lausanne et Renens). Entrepreneur autodidacte, passionné de vélo, il avoue diriger son entreprise de manière très intuitive, apprenant sur le tas avec le souci d’une communication directe et transparente. 

Les valeurs Ici, aucune charte ou séminaire de réflexion pour se mettre d’accord sur des valeurs communes. Lucas Girardet avance avec pragmatisme. Il dit: «L’important est d’avoir un but commun et de faire en sorte que tout le monde y adhère. Mon rôle est de faire passer ces messages au reste de l’équipe.» 

Le but commun est de constituer un réseau national de Vélib’. L’idéal est de mettre les gens sur des vélos et ainsi transformer leur mobilité. «J’attends de mon équipe qu’elle soit franche, claire et loyale. Et nous adoptons la même posture avec nos clients. Nous n’avons rien à leur cacher.» Venant du milieu associatif, Lucas Girardet est très attaché aux thèmes du développement durable. Il estime d’ailleurs que sa société illustre parfaitement les trois piliers du développement durable: l’économique, le social et l’environnemental. «Velopass n’est pas là pour faire beaucoup d’argent. Mais ce n’est pas parce que notre projet est écologique que les bénéfices sont interdits.» 

Le dispositif Avec peu de moyens à consacrer à des outils de GRH ou des séminaires de formation, Velopass construit sa culture d’entreprise au jour le jour. Comme dit plus haut, des bureaux en open space et une culture du dialogue transparent forment la base du dispositif. Le jeune directeur avoue que cette communication ne va pas toujours de soi. «Ce n’est pas parce que nous sommes dix que tout le monde est forcément au courant de tout. J’ai appris à soigner la communication interne, à m’assurer que les infos circulent bien. Je ne cache rien à personne et nous essayons de célébrer les succès quand ils arrivent.» 

Les collaborateurs ont également dû ajuster leur relation au temps: «Au début, on voulait aller vite pour rester les premiers, mais nous avons appris à nous adapter au rythme de nos clients. Il faut trouver la bonne attitude et le bon moment», confie Lucas Girardet. Le dispositif de recrutement? «Nous engageons des personnes pour leurs compétences techniques, mais elles doivent également être capables de prendre position. La confrontation est importante.»

Lien: www.velopass.ch

 

Debiopharm Group

Le contexte Créé en 1979 par Rolland-Yves Mauvernay à Martigny, Debiopharm Group emploie aujourd’hui plus de 300 collaborateurs. Le revenu de l’entreprise n’est pas communiqué. Le modèle d’affaires repose sur le développement de molécules découvertes par d’autres chercheurs ou institutions, et sur l’octroi de licences de molécules à d’autres sociétés pharmaceutiques. 

Positionné entre les chercheurs (start-up, universités, laboratoires indépendants) et les grands laboratoires disposant de forces de vente (Novartis, Pfizer, Sanofi par exemple), la société achète des molécules qu’elle estime avoir un potentiel thérapeutique et commercial. Debiopharm conduit les essais cliniques, notamment des phases I et II, passe ensuite un contrat de licence avec un grand groupe pharmaceutique et vit sur les droits générés par les ventes. 

Debiopharm a déjà enregistré des succès avec plusieurs molécules utilisées en oncologie pour le traitement des cancers du colon et de la prostate. Le DRH de Debiopharm Group est Pierre Kairouz.

Les valeurs Comme toutes les sociétés qui ont acquis une certaine taille, Debiopharm dispose d’une charte de valeurs, avec une vision et une mission, tout en cherchant à les faire vivre dans l’entreprise. Les valeurs sont Créativité et esprit de pionnier; Passion; Ouverture; Dépasser l’excellence; et Hauts standards éthiques. 

«Toutes ces valeurs sont chapeautées par une valeur fondamentale, la responsabilité individuelle», complète Pierre Kairouz. «La direction générale attend de chaque collaborateur qu’il se responsabilise à la manière d’un entrepreneur. «Une entreprise ne peut vivre uniquement sur une structure financière. Pour être pérenne, elle doit ancrer son activité dans des valeurs communes et créer du sens.» 

Ces valeurs servent d’une part à stimuler l’innovation et la curiosité des chercheurs en éveil, afin de maintenir le pipeline de nouvelles molécules toujours à flot, ainsi que de créer une dynamique et une responsabilité communes au sein de l’entreprise. 

Le deuxième rôle fondamental des valeurs est d’ancrer la société dans la réalité «Une entreprise qui réussit ne peut pas rester un îlot isolé du reste de la société. Nous avons aussi un rôle de responsabilité sociale à assumer», assure Pierre Kairouz. La société a créé une Fondation d’aide d’urgence pour ses collaborateurs et finance plusieurs opérations humanitaires (Bolivie et Niger notamment). 

Le dispositif Les valeurs sont visibles partout. Sur les murs en verre des cinq étages du bâtiment du chemin Messidor de Lausanne. Et même dans l’ascenseur. «Nous avons également décidé d’installer une seule cafétéria au quatrième étage, ce qui oblige tout le monde à se déplacer et à se rencontrer», pointe Pierre Kairouz. 

Signe que la société tient à ses valeurs, le vice président exécutif du groupe, Thierry B. Mauvernay, vient en personne expliquer le rôle des valeurs dans sa société: «Une entreprise n’est pas une démocratie, mais une idée commune des choses. Les valeurs viennent d’en haut mais elles doivent être portées par nos équipes. Aujourd’hui, un produit prend 10-15 ans à développer alors que les gens vivent sur une échelle de 5 ans. 

Si on parvient à donner du sens et de la perspective à nos affaires, cela stimule la fidélisation». D’un point de vue RH, les mots clés sont: agilité et flexibilité, responsabilité, efficience groupe, collaboration et formation. «Il faut être capable d’abandonner des grands projets et de maintenir les gens motivés à chaque changement de cap, de les ancrer dans le présent tout en les projetant dans l’avenir», conclut Pierre Kairouz.

Lien: www.debiopharm.com

L'analyse de Thémélis Diamantis

 
 
 
 
 
 
Velopass Ici, les valeurs se confondent tantôt avec le but commercial de l’entreprise («mettre les gens sur des vélos et ainsi transformer leur mobilité»), tantôt avec l’idéal de vie en société (autour du développement durable) à l’origine de l’initiative. Simultanément en amont et en aval des activités de l’entreprise, ces valeurs constitueraient un apport de sens par rapport aux seules compétences techniques des collaborateurs. Sur un marché comme celui-ci, où l’idéal et les produits rapprochent voire réunissent les protagonistes de l’offre et de la demande, une acceptation aussi élastique du terme de valeur n’est pas handicapante; elle peut même être un atout. Ce modèle est-il pour autant exportable à des entreprises plus grandes ou à des secteurs économiques différents? J’en doute, car ceux-ci sont bien souvent confrontés à une complexité et une diversité qui exige de penser les valeurs de manière à la fois plus rigoureuse et plus différenciée. 
 
Debiopharm Group En l’absence de contenus clairement identifiables, les entreprises ne gagnent rien à brandir certaines valeurs en étendard. Pire, elles demeurent des coquilles vides, dont la multiplication, loin de fabriquer du sens en dénote les approximations, voire les errements. Ainsi certaines qualités humaines ou professionnelles (comme la «créativité») peuvent participer au recrutement des collaborateurs ou au bon fonctionnement de la recherche, mais cela n’en fait pas pour autant des valeurs. Ou alors des valeurs pour l’entreprise (en tant qu’elles lui servent) mais pas forcément des valeurs d’entreprise. Pour être une valeur, la créativité doit être une fin et non un moyen. Les «hauts standards éthiques» doivent également être rendus lisibles en amont (se raccorder à une définition rigoureuse du terme) et en aval (dégager le sens concret de son action morale). Quant au «dépassement de l’excellence», il pose l’intéressant problème de savoir si l’on demeure dans l’excellence quand on la dépasse. A moins qu’il ne s’agisse d’une simple formule rhétorique, auquel cas il est utile de rappeler que les slogans font (parfois) vendre mais qu’ils ne participent que rarement au débat sur les valeurs. Thémélis Diamantis
 

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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