Comment communiquer le rachat de son grand rival
En février 2005, le groupe Vaudoise Assurances annonçait le rachat des portefeuilles automobile, choses et responsabilité civile de son rival de toujours «La Suisse» Assurances, qui s’est recentrée sur la prévoyance professionnelle. Le soin apporté à la communication a permis de sortir en douceur de cette opération à haut risque.
Pour prendre une image bien connue des passionnés du ballon rond, La Vaudoise est au FC Zurich ce que La Suisse est au FC Grasshoppers. La Vaudoise est réputée plus populaire. La Suisse, plus citadine, plus bourgeoise. Concurrents de toujours, siégeant les deux en ville de Lausanne, se disputant le même bassin de clientèle, ces deux sociétés d’assurances cultivent depuis toujours une saine rivalité. L’épopée a pourtant pris fin en février 2005 avec l’annonce du rachat des portefeuilles patrimoine de sa concurrente. Sans entrer dans les considérations stratégiques de cette opération (qui s’explique par un recentrage des activités de chaque camp), cette transaction révèle les leviers de la collaboration que doivent entretenir les responsables de la communication interne et le département des ressources humaines lors d’une acquisition.
«Notre numéro un, Rolf Mehr, ne voulait pas de gagnant ou de perdant dans cette affaire», se souvient aujourd’hui Cristina Gaggini, responsable de la communication à La Vaudoise. Autant dire que la mission s’annonce délicate. «La proximité géographique des deux sociétés a fait que de nombreux cadres se connaissaient déjà. De plus, il s’agissait de deux sociétés romandes implantées depuis des décennies dans le secteur des assurances, poursuit Cristina Gaggini. Le risque de fuites était élevé. Nous devions donc apporter un soin particulier à la communication interne pour éviter tout dérapage et pour faciliter l’intégration des nouveaux collaborateurs et, partant, des nouveaux clients.» L’opération de rachat prévoyait la reprise par La Vaudoise de plus de 300 collaborateurs concurrents. De son côté, Swiss Life, la maison mère de La Suisse Assurances, reprenait 40 collaborateurs de la Vaudoise. Un échange de bons procédés, en quelque sorte.
Directeur du département Services de la Vaudoise, qui chapeaute les ressources humaines et l’informatique, Jurg Muheim, se souvient de l’esprit voulu par les dirigeants: «Il fallait que nous imprégnions nos messages d’empathie. Car ce qui était en train d’arriver aux autres aurait très bien pu nous arriver à nous». L’autre difficulté a été de répondre aux impératifs de confidentialité exigés par toute société cotée en bourse. En bref, silence radio complet jusqu’à la fermeture des marchés. «Cela implique un timing minuté à la demi-heure près. Et de la coordination avec Swiss Life», explique Cristina Gaggini.
Concrètement, les cadres supérieurs de La Vaudoise ont été informés de la transaction la veille en fin de journée, après la fermeture de la bourse. Le lendemain matin, les 40 collaborateurs concernés par le transfert à Swiss Life ont été informés de vive voix par la direction. Le personnel a été informé par courriel puis lors d’une séance d’information du numéro un. La conférence de presse n’a eu lieu qu’à 11h30. Cette diffusion de l’information par étapes a permis à tout le personnel d’être mis au courant avant le grand public. «Une règle qui doit aller de soi», souligne Jurg Muheim.
«A La Vaudoise, nous avons un principe qui guide toute notre communication: les relations publiques commencent à la maison. Si vous avez des couacs en interne, l’image que le grand public se fait de votre société va automatiquement en pâtir. C’est inévitable», enchaîne Jurg Muheim. «De plus, il faut assurer une parfaite cohérence entre ce qui est dit et ce qui est fait», poursuit-il.
Interrogé sur les tensions éventuelles entre ressources humaines et département de communication, Jurg Muheim est catégorique: «Ce qui prime c’est la concertation. Rien n’est pire qu’une situation où chacun se met à communiquer dans son coin. C’est ce qui provoque les messages contradictoires et les mésententes. Dans une société décentralisée comme la nôtre, la communication se fait plutôt par les cadres d’agences et les chefs de départements. Chaque fois qu’un nouveau projet est lancé, le groupe de travail se charge de réfléchir à sa communication. C’est aussi simple que cela», détaille Jurg Muheim.
Cristina Gaggini opère tout de même un classement dans les différents types de messages à faire passer: «La communication émanant de la direction est l’affaire de mon service. La communication opérationnelle se fait par les personnes concernées (suivant le processus décrit ci-dessus, ndlr). Enfin, la communication organisationnelle, comme l’optimisation des processus de travail, est du ressort des chefs de départements concernés.»
Pour Jurg Muheim, c’est plutôt le «comment communiquer avec les collaborateurs» qui prime. Il y voit trois principes incontournables: l’honnêteté, la transparence et la non-précipitation. «Que les messages partent d’en-haut, des RH ou des départements concernés est plus ou moins égal. Tant que la forme y est». Côtés outils, La Vaudoise diffuse deux fois par an un journal d’entreprise «qui doit stimuler le sentiment d’appartenance au groupe», note Cristina Gaggini. Un système intranet et bientôt une newsletter électronique complètent l’offre. «Nous privilégions la communication interpersonnelle, car elle seule permet une véritable interaction. Et nous faisons régulièrement des enquêtes de satisfaction pour savoir comment les informations sont perçues par nos employés. En règle générale, les résultats sont très positifs. Mais il y aura toujours une part de mécontentement. C’est normal. La communication est quelque chose de vivant. Les attentes seront donc toujours en mutation. Ce qui est finalement un signe de bonne santé pour l’entreprise», conclut Jurg Muheim.