Communication

"La communication rédige le scénario, le GRH met en scène"

Spécialiste en communication d’entreprise, Erika Brademann voit une séparation des tâches bien distincte entre responsables communication et le département des ressources humaines. Tout ce qui concerne l’identité de l’entreprise appartient aux premiers. Les GRH doivent  se concentrer sur la vie des employés, estime-t-elle.

HR Today: La communication interne d’une entreprise est devenue un enjeu qui touche autant les GRH que les responsables de communication. Comment clarifier la situation?

Erika Brademann: Il faut tout d’abord distinguer si l’on parle de communication au sens premier, c’est-à-dire former les employés à mieux échanger, à mieux se parler entre eux. Ou si l’on traite de la communication dite professionnelle, qui implique la transmission de messages touchant aux valeurs de l’entreprise et donc à son identité. Je dirais que le «comment mieux se parler entre employés» est la responsabilité des GRH. Qui doivent également assurer la communication des processus RH et de la vie au quotidien du personnel dans l’entreprise.

Quant au département de communication, il est responsable de la transmission des valeurs, de la stratégie et des objectifs. C’est en quelque sorte à lui de définir l’identité de la société et de s’ assurer que chacun y trouve son compte. En principe, si ce travail est bien fait, les employés seront plus motivés. Cette communication institutionnelle joue également un rôle important lors du recrutement de nouveaux collaborateurs ou pour retenir les talents.

D’accord, mais les GRH revendiquent également ce rôle de ciment et de défenseur des valeurs de l’entreprise. Et le recrutement est généralement leur chasse gardée…

Depuis quelques années, c’est devenu une mode d’appeler le chef du personnel: le directeur des ressources humaines (DRH). Si l’entreprise voit dans son personnel une véritable ressource et si elle est prête à investir dans son personnel, je dirais que les GRH pourraient très bien s’occuper de la communication interne. Mais derrière l’appellation, dans beaucoup d’entreprises, le travail des ressources humaines est resté purement administratif. Dans ces cas-là, le responsable de la communication doit prendre ses responsabilités et s’assurer que l’identité de l’entreprise correspond aux attentes du personnel.

Reste que les compétences des GRH et des responsables communication sont semblables?

Pas tout à fait. Aujourd’hui, sous communication d’entreprise, on regroupe le journal interne, l’intranet et la mise sur pieds de manifestations. Vous me direz, pourquoi avoir un responsable communication pour ces quelques tâches… Mais un responsable communication est formé à l’écriture. Il sait s’adresser au grand nombre ou cibler ses messages aux personnes concernées. Ce sont de vraies compétences. Pareil pour l’organisation d’événements. Il y a
certaines règles bien précises à suivre.

En quoi la communication aide au recrutement et à la sauvegarde des talents?

On ne peut faire la communication interne que quand on a défini qui on est. La communication interne est donc directement liée à la stratégie d’identité d’entreprise, la «corporate identity». Et cette mission est typiquement un travail de communication. Eux seuls sont formés pour faire des enquêtes de satisfaction, dont les résultats doivent être pris en compte pour définir les valeurs. Pour revenir au recrutement et au talent management, on définit des valeurs qui correspondent aux aspirations de ces talents. Dans le processus de recrutement, la définition de valeurs permet d’être claire sur qui vous êtes. Celui qui s’intéresse à votre entreprise, sait à qui il a à faire.

Vous affirmez donc qu’un département RH doit être «orienté stratégie» pour obtenir le droit de gérer la communication interne…

Oui, je le crois. Il existe des études sur les raisons qui font qu’un employé reste dans une entreprise. Le salaire arrive loin derrière. Les éléments les plus importants sont les signes de reconnaissance de l’employeur envers les employés. En théorie, les GRH sont tout à fait en mesure d’apporter ce feed-back positif aux employés. Mais mon expérience m’a montré que ces signes de reconnaissance ne sont pas courants. Et si personne d’autre ne le suggère à la hiérarchie, c’est le département de communication qui doit le faire. En quelque sorte, ils sont la mauvaise conscience de la direction. Je le répète, la communication est le cœur de la culture donc de l’identité de l’entreprise. Les sociétés américaines comme Hewlett Packard ou Federal Express font cela très bien. Ils ont compris que l’investissement dans le personnel (en formation par exemple, ndlr) est primordial. Les responsables communication ont les moyens d’avertir la direction que les valeurs de l’entreprise impliquent certains investissements.

Et le GRH dans tout ça?

Les GRH sont en mesure de dire ce dont le personnel a besoin concrètement, en terme de gestion des compétences. Le GRH est celui qui met en pratique.

La reconnaissance, la satisfaction, la culture d’entreprise, ces trois termes sont donc des concepts de communication.

Oui.

Mais les GRH revendiquent également ces concepts...

La raison est simple. Autant les GRH que les responsables de communication sont plus ou  moins au même niveau de reconnaissance dans l’entreprise. Tous les deux ne se sentent pas pleinement compris par la direction. D’autre part, comme je l’ai dit plus haut, les GRH se sont donnés le titre sans toujours en assumer la responsabilité. Très souvent, la fonction RH reste une fonction administrative.

On a écrit dans ce journal que les valeurs d’entreprises sont souvent des coquilles vides. Que répondez-vous à cela?

Comme consultante, cela m’arrive souvent de discuter des chartes d’entreprises avec les directions. Je leur dit: ce que vous annoncez dans la charte doit avoir un pendant en terme de politique de communication. Et ils tombent souvent des nues. Il faut donc mettre au point des valeurs communicables et que l’entreprise peut assumer pleinement. Quitte à changer l’organisation.

Un travail que les GRH ne peuvent pas faire?

Les GRH sont plus gentils. Le chef de la communication rédige le scénario, le GRH met en scène, sans pour autant mettre en doute ce qui est proposé. Ce qui n’est pas le cas de tous les GRH, je le précise.

Détenir une information, c’est détenir un certain pouvoir. Est-ce aussi un enjeu qui divise GRH et responsables communication?

Il faut bien différencier l’information de la communication. Dans la communication interne, un des problèmes que nous rencontrons c’est la communication par cascade, de manière hiérarchique. Dans ce cas de figure, l’information est effectivement un vecteur de pouvoir. Et si les cadres ne jouent pas bien leur rôle, il ne reste souvent plus grand chose quand l’information arrive tout en bas de l’échelle. Mais l’arrivée de l’intranet a changé la donne. C’est désormais possible d’informer tout le monde en même temps. Je pense donc qu’il n’y a pas un enjeu de pouvoir, mais simplement des rôles différents quant à la diffusion.

A qui faut-il confier la responsabilité du contenu de l’intranet?

La diffusion de l’information sur l’intranet revient en général au responsable de la communication, puisqu’il a été formé pour le faire. Il est capable d’écrire les messages pour qu’ils soient compris par le personnel. D’autre part, certains systèmes intranet prévoient des espaces pour chaque département de l’entreprise. Les RH ont donc leur portail à eux, qu’ils alimentent avec leurs propres informations.

Et les journaux d’entreprise?

Il y a dix ans, le journal interne servait à informer le personnel sur la vie de son entreprise. Depuis l’arrivée d’intranet ce rôle a quelque peu changé. Le journal est devenu un magazine people en quelque sorte. C’est l’occasion de parler d’un individu qui a réussi quelque chose de particulier dans la société ou en privé – c’est un outil de communication idéal pour montrer de la reconnaissance.

Prenez l’exemple de Federal Express. Ils ont décidé de lancer un journal d’entreprise genre «20 minutes», avec beaucoup d’images et très peu de textes. Pour parler à leurs employés dans un langage compréhensible. Ils ont mis ce journal à disposition à côté de l’ancien modèle, plus informatif et axé sur la branche. Le personnel s’est jeté sur la nouvelle formule parce qu’il s’adressait à eux dans un langage simple et compréhensible.

Qu’est-ce qui intéresse le plus les collaborateurs?

C’est en général les thèmes qui assurent leur futur au sein de l’entreprise. Les informations sur la santé de l’entreprise, ses chiffres, a-t-elle atteint ses objectifs, le carnet de commande. Puis arrive l’innovation, la situation du marché, les informations sur les clients. Tous des sujets qui sont en lien avec l’avenir de l’entreprise.

Quelques mots sur le risque de surplus de communication…

Le trop plein d’informations est effectivement un des écueils de nos sociétés. Dans l’entreprise c’est pareil. L’arrivée d’intranet à la fin des années 1990 a joué un rôle. Car la multiplication des outils provoque la multiplication des informations. Il faut donc réfléchir à comment hiérarchiser toutes ces informations. Comment faire pour éviter que chacun se mette à communiquer sur tout et n’importe quoi? Une des solutions au problème est une gestion professionnelle du portail intranet. Les bons exemples ont un portail individualisé. Chaque employé reçoit les infos qui le concernent. Et c’est le département de communication qui s’occupe de faire le tri et d’envoyer les messages. Et l’intranet, dans le sens e-mailing, reste un simple outil de travail.

L'interviewée

Erika Brademann fait partie de Constellartis, un réseau de consultants indépendants qui aide les sociétés à définir, vivre et communiquer leur culture d’entreprise. A côté de son activité de consultante, elle enseigne à l’Institut Suisse des RP des thèmes comme l’Identité Institutionnelle, la communication interne, les relations avec les médias et les relations publiques.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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